Tout débute par un accident de voiture. Un couple d'adolescent, Nicole et Craig, font une sortie de route. Shelly, la seule témoin, découvre la scène : Nicole inconsciente et virginale dans les bras de son amoureux. Nicole mourra et Craig sera accusé par la vindicte populaire de l'université d'avoir tué sa petite amie. Pourtant quelques mois plus tard, ce dernier retourne étudier dans les mêmes lieux où il a connu Nicole. Soutenu par son ami Perry qui fut et reste son compagnon de chambre, Craig tente d'avancer et d'oublier. Mais les fantômes du passé rodent toujours. Certains étudiants auraient aperçu la jeune fille sur le campus, Craig reçoit d'étranges cartes postales signées Nicole tandis que Perry s'est inscrit à un cours sur la mort.
A l'image de Moi, Charlotte Simmons, de Tom Wolfe auquel le roman m'a fait penser, voici une nouvelle fois un roman acerbe qui décrypte la vie des campus américains. Sous une apparence tranquille où chacun semble couler des jours heureux, l'université cache de sérieuses failles, tant du côté des étudiants, que des professeurs ou des responsables.
Craig tente de faire son deuil tout en étant perturbé de n'avoir aucun souvenir de l'accident. Il se met à croire au retour spectral de Nicole tant ce garçon si amoureux a vu sa vie sombrer à la disparition de la jeune fille.
Perry, le bon copain, semble aussi mal à l'aise. Se passionnant pour ce cours qui détaille les manifestations de la mort dans le folklore traditionnel, il s'avère lui aussi quelque peu fasciné par Nicole qu'il connaît depuis son plus jeune âge et reconnaît à son tour l'avoir vu depuis sa mort.
Shelly, une lesbienne quinquagénaire qui a tenté en vain de faire reconnaître à la presse le ramassis de bêtises qui ont été dites à l'occasion de l'accident, se voit manipulé par Josie, une jolie étudiante qui travaille pour elle et qui s'avère être la compagne de chambre de Nicole.
Enfin, il y a Mira, professeur spécialisée sur la mort, son folklore et les manifestations fantastiques qui lui sont liés. Son couple bat de l'aile, la thèse qui lui permettrait de rester enseigner sur le campus est au point mort. Intriguée par l'effervescence toujours palpable autour de la mort de Nicole, elle décide de consacrer son étude à la mort de la jeune fille.
D'autres personnages gravitent autour qui complexifient un peu plus le sujet.
Car oui, l'intrigue est un véritable imbroglio où tout va avoir son importance. Le roman débute lentement et grâce à des flashs back habilement distillés permet au lecteur de comprendre la vie des uns et des autres avant l'accident. Puis peu à peu, le rythme s'accélère et l'ambiance tendue devient bientôt terriblement étouffante tendant vers un final qu'on attend dramatique. Sans crime, l'histoire tend pourtant à devenir une enquête et le lecteur est avide de révélations et de vérité.
Flirtant avec le surnaturel, Laura Kashischke réussit avec brio à perdre son lecteur dans une ambiance oscillant entre le réalisme le plus dérangeant et un fantastique troublant, et à conclure son roman sans enlever toute l'incertitude concernant ces manifestations spectrales. La fascination pour la mort est clairement palpable ici
Véritable charge contre les campus américains, Les revenants n'hésite pas à dénoncer les traditions de fraternité et de sororité, ces confréries estudiantines qui n'hésitent pas à bizuter et à instaurer des rites de passages absurdes, de manière inconséquente. Les responsables du campus ne sont pas épargnés, n'hésitant pas à dissimuler certains faits qui rejailliraient négativement sur l'image de l'université. Tenus par leurs généreux donateurs ou leurs compagnons de fraternité, les petits arrangements entre amis ont force de loi.
Chacun s'inscrit donc dans un groupe et ceux qui s'en excluent librement, comme Craig, doivent affronter le mépris et la vindicte populaire.
Les revenants est un formidable roman à la construction impeccable.Très dense, riche de multiples sous-intrigues qui finissent par toutes se rejoindre, il déroule habilement le fil d'une histoire en vase clos. Agrémenté de personnages excellemment étudiés et à la psychologie poussée, il emporte son lecteur à la marge de la réalité pour mieux le perdre dans cette obsession de la mort à la lisière d'un fantastique morbide.
Un récit bien sombre qu'on savoure pourtant avec délicatesse, entouré de ces revenants, les morts invisibles tout comme ces vivants en sursis, pervertis par leurs pairs et à l'innocence cruellement sacrifiée sur l'autel du collectif.
D'autres avis :
Leiloona - La ruelle Bleue - Kathel - Lucie - Claire - Théoma - Joelle -
Titre : Les revenants
Auteur : Laura Kasischke
Editeur : Christian Bourgois
Parution : Septembre 2011
588 pages
Prix : 22€