Polina est une petite fille russe de 6 ans qui se prépare à sa première audition. L'enjeu est ici d'intégrer la fameuse école de danse du professeur Bojinski. Notant son manque de souplesse, ce dernier repère pourtant chez elle un potentiel et l'admet à l'académie. Grandissant en son sein, elle doit faire face aux difficultés du travail de danseuse. Bojinski la prend sous son aile et lui donne des cours particuliers. Professeur exigeant, il ne prodigue que peu de compliments et demande toujours plus de travail de ses élèves. Mais Polina échappera bientôt à l'ascendant de son mentor pour mieux se réaliser et finalement se rendre compte de tout ce que ce dernier lui a apporté.
« La danse est un art, il ne s’apprend pas. Il faut l’avoir dans le sang. Ensuite, il faut travailler. Et avec moi, vous allez travailler tous les jours et croyez-moi, il va falloir vous accrocher » annonce Bojinski.
Voilà qui augure une vie de travail incessant. Et de fait, Polina est une danseuse acharnée qui n'hésite pas à sacrifier des heures de sommeil et les sorties entre amis pour être à la hauteur des exigences de son professeur. Leur relation est particulière. Ses camarades se moquent de cet homme taciturne et réprobateur. Polina se soumet à son autorité mais bientôt une sensation d'étouffement la pousse à s'émanciper et à chercher d'autres pistes de travail qui la mèneront dans un théâtre de Russie puis dans une troupe contemporaine. Mais l'ombre de Bojinski plane toujours sur elle et ce n'est que bien des années plus tard que Polina, devenue jeune femme, reconnaîtra tout ce qu'elle lui doit.
Nous allons suivre ici le parcours d'une jeune fille de ses 6 ans à sa vie de femme adulte : les 20 années d'une danseuse en devenir à son accomplissement, le parcours d'une jeune fille qui a choisi de consacrer sa vie à la danse. Un parcours pas forcément facile qui demande du travail et des convictions.
Et contrairement aux apparences, Polina n'est pas un album sur la danse. Ou du moins pas que. C'est surtout le récit d'initiation d'un être en devenir. Car Polina va grandir dans cet environnement bien particulier de l'art. Elle va se construire au sein des différentes écoles qu'elle va fréquenter. Elle va y connaître ses premières souffrances, ses premières déceptions, ses premières amours aussi et les chagrins qui vont avec. Mais celui qui lui donnera les plus de clés est le professeur Bojinski. Lui inculquant des valeurs, un esprit de dépassement de soi, le don de soi dans son propre art, l'importance de ses propres choix, ..., il lui donnera la véritable base de sa vie, de qu'elle va devenir par la suite.
Bastien Vivès réussit ici à tracer le portrait de toute une vie (ou presque). On suit parfaitement la progression de Polina dans son travail de danseuse, dans sa vie personnelle. On découvre ses abattements, ses joies, la difficulté de prendre certains choix qui vont bouleverser votre vie. On observe la manière dont petit à petit la jeune fille s'affirme et tatonne pour trouver sa place. Les ellipses narratives se font de manière tout à fait naturelle et les tranches de vie de Polina se succèdent avec bonheur.
Tout est très finement abordé sans lourdeur et la fin éclaire avec douceur et émotion tout le parcours de la jeune fille qui s'est enfin réalisée. Une reconnaissance tardive mais nécessaire à celui qui a fait ce qu'elle est.
Bastien Vivès a construit cet imposant album dans une palette de noir, blanc et gris. Le trait est épais mais est fait de légereté. Les décors sont souvent succincts et toute l'importance est donné aux personnages, à leur corps et à leur mouvement. Leur mise en scène est sobre et fluide. Le geste est plus important que le réalisme du corps dessiné. Bref, le style est très esthétique et m'a parfois un peu gêné dans certaines représentations du corps inachevées ou déformées. La tache noire qui fait office de nez chez Polina m'a sensiblement agacée par exemple.
Le récit qui se fait finalement très psychologique m'a un peu semblé adouci par rapport à la réalité d'une vraie danseuse. Même si blessures, manque de sommeil, rivalités sont évoqués, je les ai trouvés un peu amoindris et la vie de Polina ne m'a pas semblé aussi "difficile" si je puis dire que ce à quoi je m'attendais. L'absence de la famille m'a églement marqué. Même si le sujet était plutôt la relation de Polina avec son mentor, il m'a semblé étonnant que la famille n'est pas une place plus importante dans la construction personnelle de la jeune fille.
Quoi qu'il en soit, malgré ces quelques bémols, Polina est un très bel album qui, sans être un coup de coeur, m'a émue par le destin à la fois hors du commun de Polina et le fait que chacun de nous passe par ce genre d'étape qui nous permettent de grandir et de nous accomplir. La relation nouée avec son professeur est troublante de sensibilité et de non-dits et sa force n'en est que plus importante. Bref, un beau récit initiatique qui met la transmission et l'art au coeur de son scénario.
D'autres avis :
Yvan - Yaneck - David - Bauchette - Mr Zombi - Antigone - Véro - Théoma - Chiffonnette - Bulles et onomatopées - Lili galipette - Lorraine -
Liens :
Préview de l'album
Titre : Polina
Scénariste / dessinateur : Bastien Vivès
Editeur : Casterman, KSTR
Parution : Mars 2011
210 pages
Prix : 18€
Prix des libraires 2011