Auteur : Joyce Carol Oates
Editions :
Actes sud - Juin 1999 - 90 pages - épuisé
Actes Sud, Babel - Aout 2006 - 90 pages - 5,50€ (épuisé)
Josie et sa mère ont quitté le foyer familial pour aller habiter chez la grand tante Esther. Aucune explication n'est donné à la petite fille de 11 ans qui doit s'accomoder de ce nouveau lieu à l'atmosphère froide et pesante. Sa mère se désinteresse d'elle pour mieux aller courir auprès d'amours éphémères et Josie se retrouve bien souvent seule. La seule personne qui lui porte un peu d'intérêt distant est son cousin Jared, jeune séminariste en vacances. Jared, plus agé que Josie (environ 25 ans), fascine la demoiselle. Attirée par ce jeune homme mystérieux, constamment retranché dans sa chambre où il se dévoue à Dieu, parmi les livres et les images pieuses, elle accepte de le suivre dans les marais, à l'occasion d'une rencontre innopinée. Josie a-t'elle croisé sur son chemin le serpent noir qui la hante et la dévorera ?
Ce court roman est à l'image des autres textes de l'auteur : extrêmement dérangeant.
Car ce que nous allons découvrir ici est que cette attirance que Josie a pour son cousin va se révéler d'autant plus malsaine que celui-ci va en jouer pour que la petite fille devienne l'objet de ses fantasmes érotiques.
La résurrection de la fille de Jaïre, 1861. (une des images de Jared)
Jared, prisonnier de son extrémisme religieux, est abruti d'images du Christ extatique souffrant sur la croix et instaure une relation sadique avec la petite fille, se plaisant à la faire souffrir.
Josie, elle, oscillant entre souffrance et amour, découvre à travers cette transgression une certaine liberté et aborde aux rivages de l'adolescence qui vont peu à peu l'éloigner de la figure maternelle.
" Autrefois, du temps de ma petite enfance, nous étions quasiment des égales, Mère et moi (car le pouvoir réside dans l'égocentrisme impitoyable, inconteté) ; avec le temps, à mesure que je grandissais, que j'émergeais chaque jour davantage de l'enfance, j'avais perdu mon pouvoir au profit de ma mère. Car elle était elle-même une enfant, une trompeuse et fascinante enfant prête à user de toutes les séductions afin qu'on l'aime et souhaite -ô si ardemment ! - être aimé d'elle. Ce qui était à jamais impossible, du moins selon ton désir. "
Le lien qui les unit va demeurer secret et l'ascendant que Jared va avoir sur Josie sera tel que la petite fille considerea leur relation comme de l'amour.
" Tu ne voulais pas appeler cela de l'amour, tu l'appelerais autrement, d'un autre mot, d'un autre nom. Fermant les yeux au point d'en être parfois étourdie, d'en avoir le vertige. Au point d'en éprouver une excitation, un effroi aux limites du supportable. Et je le revois, mon cousin Jared Jr. Tant d'années plus tard. Je vois une flamme verticale, une silhouette. Pas une personne. Si je m'efforce de me remémorer son visage, le son de sa voix et, au creux de mon ventre, cette sensation d'une clef tournant dans une serrure sitôt qu'il me touchait, je perds tout."
Et puis il y a la mère qui ne voit rien, toujours absente, qui considère sa fille à la fois comme une adulte et comme une petite fille.
" Les doigts de Mère, véritables serres, avaient agrippé mes épaules osseuses. Ses yeux accusateurs sondaient les miens, ses yeux gris pâle teintés de bleu, parsemés de paillettes de mica quasi invisibles, comme certaines des pierres disséminées sur les berges de la Cassadaga.
"Tu ne peux rien me dissimuler ! Tu ne peux pas avoir de secret pour moi !"
Car il doit bien y avoir un jour - une heure, une minute ! - où pour la première fois, un bébé tente de leurrer sa mère : un moment où pour la première fois de sa vie, il exerce ce que l'on appelle sa volonté : le geste de tromperie instinctif, improvisé, le subterfuge qui deviendra partie intégrante de sa vie mentale. Si les parents sont en mesure de déceler un tel moment, il se peut qu'ils l'étouffent de telle sorte que l'intrigue ourdie par le bébé soit à jamais déjouée. "
Pourtant si le sujet parait plutôt glauque, Oates réussit haut la main à utiliser une langue pudique où rien ne transparait. Tout est dans le non-dit et les évocations subtiles que le lecteur saura intelligemment interpréter. Pas d'horribles descriptions de sévices, la métaphore et le symbilisme sont souvent présents ici. On pense d'ailleurs à ce fameux serpent noir, évoqué de façon récurrente par Josie, qui peut aussi évoquer le serpent du péché dans la Bible.
La religion, fort présente, est décrite par Oates comme un réservoir à frustrations et à fantasmes pervertis.
La relation mère-fille ne semble pas beaucoup plus équilibrante avec une mère tantôt absente, tantôt étouffante et offre, en place de tendresse, de grandes sentances sur la vie.
"Premier amour" est un roman troublant et fascinant. Décrivant à mots couverts, une relation obsène et malsaine où l'amour se dispute à la souffrance, il fait le portrait édifiant d'une jeune fille qui, dans ses premiers émois érotiques, se trouve pas tout de suite la force de se libérer d'une emprise qui la submerge.
J'ai pour ma part fort apprécié ce petit roman. Lu il y a 2-3 semaines, j'ai peut-être pu m'éloigner de l'aspect dérangeant que l'on ressent au prime abord et constate, en écrivant ce billet avec recul, toute la subtilité de ce texte !
Un roman qui ne plaira pas à tout le monde, c'est certain... mais qui est pourtant à découvrir !
Les avis de : Cynthia (que je remercie pour le cadeau !) et de Picwick.