Chers lecteurs,
Il y a quelques mois, j'ai commencé à vous parler de ma vie trépidante de libraire.
Pleine d'enthousiasme, je prévoyais une flopée de billets réguliers...
Aujourd'hui, il est temps de reconnaitre que je n'ai pas franchement tenu mes promesses lol
Mon dernier billet datant du mois de Mars 2010...ahem...
Le chômage me redonne sensiblement l'envie de me plonger dans ce métier par procuration !
Alors essayons donc de reprendre quelque peu le fil...
Idée reçue n°1 : Le libraire passe ses journées à lire
Idée reçue n°2 : Le libraire ne comprend rien aux chiffres
Le sujet du jour est : Le libraire n'est pas sportif
Je l'avais déjà évoqué précédemment : le libraire ne reste pas assis derrière son bureau à lire des bouquins toute la sainte journée. Parfois même, il doit supporter la station debout des journées complètes.
Vous allez me dire, ça ne suffit pas pour en faire un sportif. Certes, mais les choses ne s'arrêtent pas là...
Les livres, c'est beau, c'est chouette, ça sent bon le sable chaud papier mais punaise qu'est-ce que ça pèse... Toute personne ayant déjà déménagé des livres sait parfaitement de quoi je parle !
Et le libraire, qu'est-ce qu'il "manutentionne"....c'est comme s'il déménageait tous les jours...
Les beaux rayons croulant de livres qui n'attendent que votre main heureuse doivent bien être remplis à un moment ou à un autre, et ça, ça ne se fait pas tout seul.
Apprenez donc que quasi quotidiennement le libraire reçoit la manne providentielle (enfin ça dépend des éditeurs ^^) des fournisseurs et qu'il doit s'empresser de les intégrer au stock.
En général, c'est le matin que ça se passe. Arrivant tout guilleret, fraichement peigné et les miettes de croissant au bord des lèvres, le libraire doit affronter les nouveaux arrivages.
Le libraire haltérophile :
S'il travaille dans une grosse entreprise, il aura la chance de voir arriver les livres dans des caisses, empilées parfois sur des roulettes, déjà traitées par les équipes des stocks (rentrés en stock, étiquetés, etc...). Sinon, c'est lui qui aura la joie de procéder au déballage des cartons, de vérifier les quantités, de traiter les litiges, de mettre les prix, etc... (mais tout ceci est un autre problème...).
Vous me direz : les livres tout prêts dans les caisses, c'est bien, il n'y a rien à faire, pas besoin d'être champion d'haltérophilie. Sauf que si.
- Souvent les livreurs, les stockistes se font un plaisir d'empiler les caisses au-delà de votre zone d'atteinte. Vous pouvez donc vous retrouvez avec une pile de 6 caisses vous arrivant au niveau du nez. Pour des raisons de place et d'optimisation de l'espace (parce que étonnamment, le stock est souvent en rupture de caisses), vos caisses peuvent aussi être remplis à ras-bord de bouquins.
Forcément selon votre rayon, le poids peut différer : une caisse de Tchoupi n'égale pas une caisse de BD cartonnés. Mais, dans le pire des cas, vous pouvez vous retrouver avec environ 150- 200 kgs de livres à bouger. Chouette.
Bien sûr, dans ces moment-là, tous vos collègues sont occupés avec des clients. Personne ne peut vous aider à descendre ces bacs. Vous vous retrouvez à retrousser vos manches et à essayer de bouger ces put@in de caisses.
- C'est souvent aussi le moment qu'un client choisit pour vous demander LE livre qui est arrivé le jour même.
Dans un souci d'abnégation et de conscience professionnelle, vous vous engagez à chercher le dit bouquin dans les caisses du jour. Ah tiens dommage, aujourd'hui j'ai eu 15 bacs... Bien évidemment,le plus souvent le bouquin recherché se trouve dans la dernière caisse dans laquelle vous farfouillez...
Le client repart satisfait et le libraire blasé a fait sa séance quotidienne d'altérophilie.
- Les supports à roulettes où sont entassés les bacs sont aussi parfois réticents, ils n'ont pas toujours envie de vous aider, les roulettes peuvent se coincer, tourner dans le mauvais sens et le libraire batailler pour emmener la pile dans un lieu adéquat. Vous savez, comme le caddie à Auchan qui vous rend la vie impossible...
- Et puis parfois, il n'y a pas de roulettes dans votre entreprise. Des hommes costauds viennent vous apporter dans votre rayon les bacs de livres et évitent de vous faire des montagnes inatteignables de bacs. Ce n'est pas pour autant que vous êtes au bout de votre peine. Parce que vos bacs sont empilés dans un coin du rayon pour ne pas trop gêner les clients mais que vous allez devoir malgré tout les porter pour les amener devant les panneaux concernés pour faciliter le rangement et éviter de faire 50 aller-retour.
- Autre cas de figure : les erreurs de répartition. Le livreur n'est pas libraire et n'identifie pas toujours correctement la destination des caisses... Le libraire se retrouve donc souvent avec des caisses destinées à d'autres rayons. S'il travaille dans une petite librairie, le problème ne se pose pas. Sinon notre libraire, et bien il va devoir redispatcher les mauvais bacs dans les rayons concernés. Ses collègues sont toujours occupés, les livreurs sont repartis, les roulettes n'existent pas ou il n'y en a plus de disponibles et les 5 bacs qui ne sont pas à vous doivent être amenés à 50 mètres de votre rayon ou 3 étages au-dessus (sans ascenseur bien évidemment)... soupir...
Vous croyez en avoir fini : pas du tout ! Parce que le libraire, mine de rien, il porte des livres toute la journée.
- Les bacs précédemment cités, il faut bien les vider. On ne prend pas un livre à la fois mais une pile dans les bras qu'on se trimballe d'une étagère à l'autre.
- Les tables de présentation doivent être régulièrement changées, on vire des piles pour en mettre d'autres. Les piles de romans, ça va encore mais quand vous avez une pile de 30 bds dans les bras c'est un peu différent.
- Je pourrais évoquer aussi les réserves. Les rayons n'étant pas extensibles, le libraire a souvent une petite réserve dans un coin éloigné des rayons. Il s'y rend pour récupérer 2-3 titres précis mais en faisant le tour rapide, empile d'autres titres dont il a besoin et qu'il n'avait pas identifié avant de s'y rendre. Résultat, il repart avec une pile jusqu'au menton à la place des 3 titres initiaux.
- Il y a les collectivités qui vous donnent des listes de 30 bouquins à sortir des rayons, à isoler et à porter dans le service concerné.
- etc...
Ce sont des petits riens qui ne semblent pas porter à conséquence mais si vous cumulez le tout par un nombre incalculable de fois, vous finissez par vous rendre compte que ce métier est très physique...
Vous l'ignorez peut-être mais le mal du libraire est le mal de dos... On en a tous souffert à un moment ou à un autre. Vous aurez beau porter selon les consignes en pliant les jambes, demander à vos collègues de vous aider à porter, etc... vous êtes malgré tout obligé d'y passer un jour ou l'autre.
Le libraire gymnaste :
Le libraire est un sportif complet. En dehors de la force, on lui demande aussi souplesse et musculature.
Le rangement et la manutention entraine le libraire à des gestes de haute précision et lui demande de développer toute sa variété musculaire.
- Le travail des jambes et des pieds
Le travail du libraire s'effectue dans des zones de bibliothèques, allant de 10 cm au ras du sol, à environ 2 mètres. Ainsi, il va devoir s'habituer à des exercices de flexion / extension constants. Les ouvrages qu'il doit ranger / conseiller / retourner sont donc diversement situés et l'oblige à effectuer de nombreux changements de position qui sollicite de manière continue les muscles du mollet et de la cuisse.
De plus, le libraire n'est pas toujours à la hauteur des étagères les plus hautes et il n'y a pas toujours de marchepied pour les atteindre : il se doit donc d'être parfaitement capable de se tenir sur le bout des orteils et de maintenir la position quelques minutes.
- Le travail des bras
Outre le port de charges que j'ai évoqué au-dessus, les bras du libraire sont sollicités d'une autre manière.
Le libraire effectue régulièrement des changements de classement ou des déménagements de rayon qui nécessite des glissés de livres sur une même planche ou d'une étagère à une autre. Ces actions ponctuelles mais répétées sur un court laps de temps font travailler des muscles inconnus situés dans les omoplates que vous découvrirez avec plaisir le lendemain matin... Les bras et les mains doivent être suffisamment fins et souples pour se glisser entre les étagères et permettre de récupérer la s@loperie de bouquin qui est tombé entre les deux.
- Le travail des mains et des doigts
Le libraire travaille aussi aujourd'hui très souvent sur un ordinateur : pour faire ses recherches (non, il ne connait pas coeur son stock de 10 000 références), pour passer ses commandes, etc...
Souplesse de poignet et dextérité du doigté sont un avantage non négligeable dans l'exercice de son métier. Plus il tape vite, plus son travail avancera rapidement et plus le client sera servi rapidement. Si vous en êtes encore à taper à un doigt, oubliez le métier ^^, on a aura pas le temps de vous attendre.
Son doigté sera également apprécié dans cet exercice de haute-voltige : étiqueter 300 bds en moins de 5 minutes. Ben voui, certaines grosses sorties arrivent directement sur palette et non en cartons, vu la quantité commandée (exemple : 600 exemplaires). On pourra éventuellement vous la "dépiauter" à votre place et vous la descendre en rayon mais l'étiquetage vous revient (faut pas déconner non plus).
Le libraire marathonien :
Le libraire ne se contente pas de ces exercices de musculation et de souplesse. Il doit également entretenir sa forme et son endurance.
Quand la conjoncture économique est favorable et que le client est au rendez-vous (de plus en plus rare en ce moment...) ou que la saison est en pleine période d'affluence (fêtes de fin d'année), le libraire court, court (comme la maladiiiiie d'amouuuuur ^^).
Son métier exigeant lui demande d'être multitâche et de faire 36 choses en même temps.
- Les arrivages de livres dont je viens de vous parler sont une priorité. Les bacs doivent être vidés le plus rapidement possible pour éviter d'encombrer trop longtemps les rayons. Le truc, c'est que les bacs, vous en recevez toute la journée... et qu'en même temps, vous devez renseigner les clients, répondre au téléphone, recharger les présentations des meilleures ventes à l'entrée du magasin, etc...
Bref, le libraire peut (et doit, si nécessaire) courir (au sens premier du terme).
Exemple de situation : Le libraire X vide ses bacs de livres en urgence pour installer le nouveau Naruto, sorti ce matin, qu'on lui demande depuis 1 mois (au moins ^^). Le réassort et la nouveauté sont bien évidemment mélangés dans les caisses (sinon ça serait trop facile). Il étale les bacs dans tout le rayon pour les trouver dans les dernières caisses avant d'entendre le téléphone qui sonne. Tenu de décrocher dans les 3 sonneries, il se précipite au bureau, une pile dans les bras, décroche mais se fait interpeller par un client qui demande un renseignement. Le libraire met en attente l'interlocuteur téléphonique, s'occupe du client qui a pris au moins la peine de se déplacer (ah mais raté, c'était une question pour le rayon d'à-côté), reprend le téléphone, voit un collègue lui faire signe qu'un représentant l'attend pour travailler les nouveautés à venir. Il pose le téléphone (les sans-fils n'ont pas encore colonisés toutes les librairies, même les plus modernes...), installe à la va-vite ses Naruto avant d'aller chercher le livre demandé par le client qui n'est bien sûr plus en rayon mais doit être dans les réserves, situées 2 étages au dessus. Le libraire court à l'étage trouver le bouquin en question, le client toujours en attente au téléphone. Il croise son responsable qui lui signifie vertement qu'il y a des trous dans les présentations de meilleures ventes à l'avant et qu'il va falloir renflouer tout ça presto. Au bout de 5 minutes, le libraire trouve enfin le livre demandé et s'empresse de reprendre son client téléphonique qui s'impatientait. Il se dépêche de rempiler les caisses de livres explosées dans le rayon, histoire que ça ne soit pas le chambard, prend une pile de quelques titres importants et courre à l'avant recharger les têtes de gondoles avant de rejoindre le représentant, qui vous signifie gentiment qu'il va falloir faire vite car son prochain rendez-vous est dans 15 minutes chez le libraire concurrent....
- Quand la période de fin d'année arrive, inutile de vous préciser que c'est pire.
Exemple de situation : C'est le 15 décembre, votre collègue est en repos (vu qu'il va se taper le prochain dimanche au boulot...). Vous avez reçu 15 roulettes de livres le matin. Vous devez isoler le plus rapidement possible les nouveautés qu'il faut présenter en rayon, du réassort qu'il va falloir ranger de manière méthodique (par auteur et éditeur) dans les réserves à l'étage. Vous avez devant vous 8 personnes qui ne savent pas ce qu'elles veulent et demandent des conseils pour des cadeaux. Le téléphone sonne mais vous n'avez plus le temps de décrocher. Assailli depuis le matin, vous n'avez pas eu le temps de recharger les rayons des références indispensables et chaque demande de clients nécessite d'aller en réserve. Résultat, toutes les 10 minutes, vous devez grimpez 3 escaliers pour chopper le plus rapidement possible les livres que vous venez de conseiller avec enthousiasme avant de vous apercevoir que vous n'en avez plus en rayon. Pas le temps d'attendre l'ascenseur poussif, monopolisé par les autres vendeurs ou livreurs. Vous en profitez pour chopper d'autre livres et descendez avec une trentaine d'exemplaires dans les bras. Manque de bol, le client suivant vous demande lui aussi un titre que vous n'avez pas descendu, il est même dans une des 20 caisses que vous n'avez pas eu le temps de vider et de ranger en réserve. La recherche va prendre du temps... Les clients s'impatientent en rayon et râlent du temps d'attente. Le téléphone continue de sonner... Et vous savez que la journée ne fait que commencer...
Vous l'aurez donc compris, le libraire a intérêt à s'accrocher pour résister à ce genre d'activité intense que son métier exige. Vitamines et entrainement hebdomadaire souhaités. Stéroïdes déconseillés.
Bien sûr, j'ai parfois forcé un peu le trait et vous ai montré le pire du pire. Mes propos sont à nuancer selon le rayon et la librairie dans lesquels chacun travaille.
Néanmoins, tout ce que je vous ai raconté s'appuie sur des expériences véridiques : les miennes !
Mon but n'est pas de vous montrer que libraire est un métier de merde mais plutôt de vous démontrer à coup de grosses démonstrations que les clichés ont parfois la vie dure...
Alors si après tout ça, vous pensez toujours que le libraire n'est pas sportif....
Rendez-vous une prochaine fois dans un mois comme dans six pour la suite de Vis ma vie de libraire ^^