1950. La jeune Yasuko vit avec son oncle et sa tante, près d'Hiroshima. A 25 ans, elle n'est toujours pas mariée et cela inquiète sa famille. En effet, une rumeur coure dans le village disant qu'elle aurait été contaminée par la bombe atomique. Pourtant Yasuko n'était pas à Hiroshima ce jour-là et n'a reçue que la puie noire qui a suivie l'explosion de la bombe. Elle se porte bien et ne présente aucun signe de maladie. Les certificats médicaux n'y change rien, les prétendants se désistent au fur et à mesure. Alors qu'une nouvelle demande en mariage pointe son nez, son oncle Shizuma décide de prouver que la jeune fille n'a pas été touchée en faisant une copie de son journal de l'époque. Plus tard, il y ajoutera même le sien, persuadé que le mariage ne pourra qu'aboutir.
C'est ce procédé qui va permettre aux lecteurs de découvrir les évènements du 6 Août 1945 et des jours qui ont suivis.
Si Pluie noire est un roman et non pas un témoignage, il en possède pourtant toute la force.Il semblerait d'ailleurs que IBUSE se soit inspiré du journal d'un rescapé pour écrire un feuilleton qui est devenu par la suite Pluie noire.
Au gré des recopiages de l'oncle, le lecteur plonge dans la réalité historique du Japon en guerre et ce qu'il y découvre est assez édifiant. Des quelques heures qui précèdent la bombe à bien des années plus tard, on se rend compte de toute l'importance et la portée de ce drame.
Alors que Yasuko était à l'écart d'Hiroshima, son oncle Shizuma a vécu le désastre de l'intérieur depuis la gare d'Hiroshima sans pour autant être à l'épicentre de l'impact. L'auteur part du regard extérieur de la jeune fille avant de continuer sur le témoignage de Shizuma.
On vit avec la population le grand éclair blanc qui brûla tout sur son passage : humains, animaux, maisons, ...
Les gens ignorent ce qu'il s'est passé et parlent d'une arme nouvelle sans connaître la portée de l'irradiation qui vient de leur être porté. Les gens sont brûlés mais sans ressentir de souffrance.Certains n'ont plus de vêtements, ont la peau qui "dégouline" en lambeaux. D'autres sont coincés sous les décombres sans possibilité de s'en dégager. La folie gagne chez les plus faibles. Et alors que le feu commence à cerner la ville, la population tente de reprendre ses esprits, de sauver ce qui peut encore l'être avant de tenter de se mettre à l'abri des flammes.
" À l’est de la gare se trouvait le temple de Yokogawa, mais du sanctuaire intérieur, il ne restait debout que des colonnes, Quant au pavillon extérieur, il avait complètement disparu, ne laissant qu”une place rase. Sur le chemin qui longe le parvis, il y avait des gens, tous couverts d’une espèce de cendre ou de poussière et qui tous, sans exception, saignaient de la tête, de la face, des mains, et ceux-ci étaient nus, de la poitrine, du dos, des cuisses, de partout. Il y avait une femme dont la joue trop gonflée pendait comme un sac, et qui marchait les mains en avant, comme un fantôme. Un homme, aussi nu que lorsqu’on plonge dans la piscine d’un bain public, marchait en se baissant comiquement. Une fenme en chemise courait, exténuée, en poussant des gémissements. Une autre, un bébé dans les bras, criait« De l’eau ! », et entre deux cris continuait d’essuyer les yeux de l’enfant, où était entassé quelque chose comme de la cendre. Un homme criant à tue-tête, des femmes, des enfants courant en hurlant de douleur, un homme assis au bord du chemin et agitant follement ses bras levés vers le ciel, une femme au seuil de la vieillesse priant avec ardeur, les mains jointes, auprès d’un tas de tuiles, un homme à moitié nu trottant et se heurtant à elle, et qui filait en jurant « L’idiote, la folle », un homme qui flânait, un autre en pantalon blanc qui rampait en sanglotant ha ha et avançait très lentement, voilà ce que j’ai vu en faisant cent vingt mètres à peine sur la route nationale qui va de la gare de Yokogawa, au parc de Mitaki."
On suit Shizuma, sa femme et Yasuko qui a réussi à les rejoindre dans leur traversée de la ville pour tenter de rejoindre l'usine de l'oncle où ils pourront trouver un abri. Leur chemin est un enfer, les images effroyables, la fumée étouffante mais il faut avancer coûte que coûte, en ignorant les appels à l'aide des condamnés.
Les jours suivants, nous assistons à la désorganisation complète de la ville qui tente tant bien que mal de continuer à "tourner" : manger, boire, trouver du charbon, brûler les morts qui s'accumulent. Les personnes irradiés et brûlés sont soignées par des remèdes de grand-mère et personne ne sait vraiment comment réagir face aux conséquences médicales de cette bombe, les médecins les premiers.
Ce récit extrêmement fort et difficile est heureusement allégé par l'alternance de la temporalité. Pluie noire ne s'arrête donc pas au récit de la catastrophe. On revient régulièrement au temps présent et aux difficultés du mariage. Cela permet également de constater que les conséquences de la bombe restent bien présentes malgré les années. Les gens irradiés sont le plus souvent déjà morts et il en est de même pour les équipes bénévoles de secours qui ont parcouru la ville les jours suivants. Les survivants ont des difficultés à travailler, tout effort favorisant une rechute de leur état et cette situation "d'oisiveté" est pointé du doigt par certains en bonne santé, obligé de trimer. On suit par la suite l'évolution de Yasuko dont l'état de santé finit par se dégrader.
Le procédé des journaux est repris un peu plus loin pour que le lecteur puisse découvrir d'autres points de vue de la catastrophe. Le systématisme de ce parti pris semble un peu artificiel mais la force des propos efface ces imperfections pour offrir au lecteur un compte-rendu réaliste et complet des faits.
La narration est faite de manière plutôt détachée. Point de larmoyant ici pour ce drame qui se suffit amplement à lui-même.
C'est un livre dur, poignant qui ne laissera personne insensible et qui fera peut-être fuir les petits coeurs mais pour moi Pluie noire est un ouvrage essentiel pour qui veut comprendre l'importance historique et l'impact que fut la bombe atomique dans la vie des japonais et même du monde. A l'heure actuelle où les japonais se retrouvent face, une nouvelle fois, à une menace nucléaire d'importance, on ne peut s'empêcher de craindre le même type de conséquences sanitaires et morales pour la population.
Ce roman est un véritable plaidoyer anti-nucléaire INDISPENSABLE à découvrir !
A noter : l'ouvrage a été adapté au cinéma par Shôhei IMAMURA en 1989.
D'autres avis :
Sandy -
Pluie noire
IBUSE Masuji
1ère édition japonaise :1966
Editions Gallimard - 1972 - épuisé
Editions Folio - 2004 - 382 pages - 7,80€
"Pluie noire" de Shôhei IMAMURA
Le réalisateur japonais, grand lecteur de IBUSE, adapta le roman en 1989.
S'il reprend une grosse partie du livre, il s'en diffère également.
Le film s'ouvre directement sur la scène du bombardement avant de retrouver Yasuko et sa famille 5 années plus tard par une ellipse temporelle. Ici, la description du drame ne se retrouve que dans 10% du film. La majeure partie de l'histoire est centrée sur l'après Hiroshima et sur les conséquentes concrètes que la bombe a pu avoir sur les populations.
La représentation du drame parait quelque peu "bricolée". Pas de grands effets spéciaux, des brûlés et des morts qui sentent un peu le maquillage grossier et les mannequins en plastiques. On passe vite à autre chose et c'est ce qui intéresse le réalisateur. Le film est fortement focalisé sur Yasuko et reprend de nombreux passages du texte.
" Qu’est-ce que la vie humaine? Ainsi que toutes choses, ce monde n’est qu’illusions. Le milieu, le début et la fin ne sont que de brèves étincelles. L’homme ne vit qu’un instant. La vie passe si vite : aujourd’hui est déjà hier. Partirai-je le premier ou sera-ce mon prochain? Aujourd’hui ou demain? Tous mourront tôt ou tard plus nombreux que les gouttes de rosée sur les branches ou les cimes. Au matin, un teint vermeil, le soir sera d’os blancs. "
Soutra des morts récité par Shizuma.
Nous sommes dans la campagne rurale d'Hiroshima, l'ambiance parait presque bucolique et apaisé. POurtant, l'esprit de la bombe est toujours dans les esprits. Nombreux sont ceux atteints physiquement et moralement par la bombe H. Là encore, les irradiés se font houspiller de flemarder en bord d'étang plutôt que de travailler. Un voisin traumatisé devient fou à chaque passage de véhicule, revivant l'attaque des chars ennemis à chaque pétarade de moteur. La femme de Shizuma, obsédée par les esprits des morts perd le contrôle d'elle-même. Shizuma voit ses amis irradiés mourir au fur et à mesure et enfin, Yasuko, malade, cache la maladie à ses proches avant de devoir être emmenée à l'hôpital.
Imamura n'hésite à pointer du doigt la bêtise humaine et l'absurdité de la guerre quand il fait entendre par Shizuma à la radio le discours d'un Truman déclarant qu'il n'hésiterait pas à utiliser la force nucléaire contre les communistes de Corée.
Le réalisateur souhaitait à l'origine y intégrer des images d'archives (il renonça devant leur mauvaise qualité). C'est pourquoi il avait choisi de tourner ce film en noir et blanc. C'était également une manière de montrer avec sobriété la mort qui hante le film jusqu'à la fin.
Imamura s'est attaqué à un sujet encore tabou à l'époque : la représentation du drame d'Hiroshima et par là-même de l'humiliation du Japon face à la suprématie américaine, et la manière dont les victimes irradiées sont niées et rejetées par la société.
Le film Pluie noire est là aussi essentiel. S'il déstabilise par l'angle de vue différent qui est donné par rapport au roman (la représentation de la bombe au début du film ne m'ayant pas convaincue), la suite confirme pourtant bien son statut d'oeuvre majeure. Ne vous attendez donc pas à une reprise des descriptions réalistes d'Hiroshima en Août 1945
Lien :
Interview de Imamura sur Pluie noire
Avis sur Cinémasie
A noter : En 1991, Akira Kurosawa tournera sur le même sujet "Rhapsodie en Août".
Quinzaine Nippone jour 11
A découvrir également :
Emmyne nous emmene dans le monde du kawai !
Emma continue de nous dévergonder avec le bondage cette fois-ci !