Vous avez peut-être été étonné que je n'évoque pas la catastrophe qui touche actuellement le Japon.... Pourtant, je suis avec beaucoup de tristesse et de frayeur les nouvelles en provenance de l' archipel. Je vous épargnerais les banalités d'usage que vous avez certainement lu ici et là.
Le billet le plus lu sur ce blog est en ce moment un article sur le roman
"La submersion du Japon".
Et ça m'a donné envie de vous parler de la symbolique de la catastrophe présente depuis longtemps dans l'imaginaire japonais.
Akira
Comme je l'évoquais dans ce billet, les japonais sont obsédés par la catastrophe.
Le Japon est un archipel flottant situé sur une ligne defaille régulièrement agité, sujet à de nombreux tremblements de terre, typhons, éruptions volcaniques et tsunamis qui menacent d'engloutir le pays tout entier.
Ses habitants sont imprégnés de culture bouddhiste et apprennent que la vie est éphémère (l'impermanence des choses ) et se déroule dans un mouvement cyclique sans fin (naissance, vie, mort, renaissance, etc...),
Les japonais opposent à leur angoisse un fatalisme certain devant la précarité de leur destin : "De toute façon, il n'y a rien à faire" dit un proverbe. Ils ont pris conscience de l'importance de vivre le moment présent. S'ils doivent mourir demain, autant continuer à profiter du temps qu'il leur reste.
Les japonais vivent donc dans la culture du risque. L'archipel est régulièrement touché par des séismes et tempêtes diverses. Pour l'exemple, il y a eu 1631 séismes en 2009.
Les évènements les plus marquants à noter sont le célèbre tremblement de terre du Kanto en 1923 et celui de Kobe en 1995. On pourra malheureusement leur ajouter celui de 2011 qui restera gravé dans l'histoire japonaise et connaitra un écho dans les années à venir.
De nombreux volcans sont en activité dans l'archipel. Le Sakurajima, par exemple, le plus actif de tous, connait environ 550 explosions par an.
Outre les catastrophes naturelles, on peut ajouter également le traumatisme de la seconde guerre mondiale et des bombardements d' Hiroshima et de Nagasaki en 1945.
Je vais vous citer Jean-Marie Buissou, spécialiste du Japon, qui l'explique très bien :
" Hiroshima, pour les Japonais, c’est évidemment une horreur, une injustice qu’on leur a fait subir. Mais c’est aussi le châtiment qui a effacé leurs crimes, c’est une nouvelle naissance. Avant sa défaite, dans l’inconscient collectif, le pays était engagé sur la mauvaise voie, il était agressif, mal conduit. Hiroshima aurait en quelque sorte fait table rase du passé et permis aux Japonais de retrouver leur vraie nature, qui n’est pas une nature guerrière, mais pacifique. C’est donc très ambigu. On s’étonne souvent que le Japon, constitué d’un archipel assez fragile, dont des centaines de milliers d’habitants ont péri à cause de l’arme atomique, ait le troisième parc nucléaire du monde. Mais le mouvement antinucléaire japonais n’a jamais réussi à mobiliser autant que les antinucléaires allemands, par exemple. Cela s’explique par le fait qu’au plus profond d’eux-mêmes, les Japonais se disent qu’ils ont vécu la catastrophe nucléaire, qu’ils y ont survécu, et qu’ils ont même rebondi plus loin encore. Pour eux, le nucléaire n’est donc pas la fin du monde. D’autant qu’ils ne croient pas en la fin du monde, qui n’existe ni dans le bouddhisme, ni dans le shinto. Il y a des catastrophes, qui peuvent être abominables, mais après chaque catastrophe, la vie renaît. Par conséquent, les Japonais, sans forcément aimer le nucléaire, en ont peut-être moins peur que les autres."
Ainsi depuis des centaines d'années, aucun domaine de création n'échappe à ce sentiment d'impermanence et de précarité.
Tous ces risques permanents ont bien évidemment influencés la production littéraire.
Et mon but, ici, n'était pas de vous faire un cours d'histoire ou de sociologie mais de vous parler de ces oeuvre littéraires où l'on retrouve la symbolique de la catastrophe, qu'elle soit naturelle, humaine ou nucléaire.
On retrouve déjà cette idée dans les estampes japonaises "ukiyo-e" dites "images du monde flottant". Le monde flottant est synonyme d'illusion, de monde éphémère promis à la disparition. Tout comme l'amour qui ne dure pas. Les courtisanes qu'on retrouvent particulièrement dans ces estampes deviennent le symbole de l'amour éphémère et de la mort de toute chose.
La grande vague de Kanagawa - Hokusai (1831)
On retrouve très fortement cette thématique de la catastrophe dans les mangas (que l'histoire dit créés par Hokusai d'ailleurs). De nombreux titres évoquent une destruction du Japon, voire du monde. Le genre post-apocalyptique remporte d'ailleurs un grand succès. Tsunami, séismes et explosions nucléaires apparaissent de façon frontale ou parfois de manière plus sous-jacente.
Voici une petite sélection de titres sur le sujet :
- La submersion du Japon
de Sakyou Komatsu (scénario) et Tokihiko Ishiki
Adapté du roman de Komatsu dont je vous avais parlé ici, ce manga en 3 volumes repose sur l'idée d'un énorme tremblement de terre quiprovoque le réveil des volcans et le glissement de l'archipel sous l'eau, provoquant ainsi de tout le peuple japonais dans les autres pays du monde.
Edition française : Panini (2 volumes traduits et épuisés...)
- Spirit of the sun
de Kaiji Kawaguchi
2002. Le mont Fuji se réveille et explose, provoquant la coupure de l'archipel en 2. Faisant appel à la Chine et aux Etats-unis, l'état japonais se retrouve coincé entre 2 autorités exigeantes qui prennent le contrôle du pays. Durant 15 ans, on y suit le destin d'un jeune héros qui fuit à Taïwan. L'auteur s'interessera ici plus aux conséquences géopolitiques de la catastrophe et évoque les difficultés d'intégration d'une diapora japonaise à Taïpei
Edition française : Tonkam. Série complète en 17 volumes à 7,95€ le tome.
- Tokyo, magnitude 8 :
de Usamaru Furuya
Un séisme de magnitude 8 secoue Odaiba, dans la baie de Tokyo, provoquant son lent engloutissement. Les deux jeunes héros de l'histoire fuient vers le centre de Tokyo et découvre une ville complètement détruite. C'est l'occasion pour l'auteur de mettre en scène l'humanité des uns et l'égoisme des autres. Une série qui s'attache à décrire avec beaucoup de réalisme les conséquences d'un séisme, l'organisation des secours et la recherche de moyens de subsistance.
Edition française : Panini. Série complète en 5 volumes à 8,95€ le tome.
- Survivant
de Takao Saito
A la suite d'un gigantesque tremblement de terre, le jeune Satoru se retrouve isolé sur une île déserte, sans moyen de communiquer avec l'extérieur et sans ressources. Seul face à son destin, il doit réinventer les gestes de la survie et affronter les dangers de la vie sauvage, loin des facilités du monde moderne. Le froid, la faim, la maladie, la solitude sont autant de difficultés dont il va devoir faire l' expérience.
Edition française : Kanko. Série complète en 10 volumes à 6,95€ le tome.
- Gen d'Hiroshima :
de Keiji Nakazawa
Keiji Nakazawa évoque de manière autobiographique sa vie de 1945, depuis le jour où la bombe est tombé sur Hiroshima et sa famille jusqu'en 1955 environ. Sortis en 1973-1974 au Japon, les 10 volumes de cette série sont un témoignage majeur sur les conséquences de la bombe sur la population japonaise, que ce soit d'un point de vue physique que moral ou politique. Un indispensable !
Editions françaises : Vertige Graphic - 18€ le tome en grand format - 9€ en petit format.
- Le pays des cerisiers
de Foumiyo Kunno
Je vous en parlais ici.
Le pays des cerisiers est une histoire courte en 3 parties sur la difficulté de vivre apres le drame d'Hiroshima. Dans la 1ère partie, nous sommes en 1955 et Minami, une jeune couturière, a perdu plusieurs membres de sa famille à cause de la bombe atomique. Nous allons suivre son quotidien et sa vie tranquille et découvrir que 10 ans après, les blessures physiques et psychologiques sont toujours douloureuses. Dans la 2ème partie, c'est la petite Nanami que nous suivrons 30 ans plus tard. Le lien avec Minami sera fait petit à petit. Enfin, dans la dernière partie contemporaine, nous retrouverons Nanami adulte dans un Hiroshima toujours traumatisé par la bombe et ses effets invisibles sur la population.
Edition française : Kana, Made In - 10€
Voici quelques titres ci-dessous dans le genre post-apocalyptique.
Ce genre présente souvent le même type de scénario : le monde est détruit et un ou plusieurs hommes survive(nt) et tente(nt) de reconstruire un monde meilleur. Mais l'avenir est souvent teinté de pessimisme : les destruction sont souvent de la faute des hommes. Les histoires sont de plus en plus sombres et "on passe d’un monde que l’on reconstruisait à un monde où nous mourrons tous".
- Akira
de Katsuhiro Otomo
Tokyo est détruite par une mystérieuse explosion en 1982 (1992 dans la version occidentale) et cela déclenche la Troisième Guerre mondiale. En 2019 (2030 selon les versions colorisées américaine et française), Neo-Tokyo est une mégalopole corrompue et sillonnée par des bandes de jeunes motards désœuvrés et drogués. Une nuit, l’un d'eux, Tetsuo, a un accident de moto en essayant d'éviter un étrange garçon qui se trouve sur son chemin. Blessé, Tetsuo est capturé par l’armée japonaise. Il est l’objet de nombreux tests dans le cadre d’un projet militaire ultra secret visant à repérer et former des êtres possédant des prédispositions à des pouvoirs psychiques. Les amis de Tetsuo, dont leur chef Kaneda, veulent savoir ce qui lui est arrivé, car quand il s’évade et se retrouve en liberté, il n’est plus le même…
Editions françaises : Glénat
Version couleurs en 14 volumes -14,99€
Version Noir et blanc en 6 volumes - 12,90€
- Ken le survivant :
deTetsuo Hara
L’histoire se déroule dans un futur relativement proche sur une terre ravagée par la guerre nucléaire qui a eu pour conséquence l’évaporation de la plupart des océans et la destruction d’une grande partie de la végétation. Dans cet univers post-apocalyptique, les survivants sont soit d’humbles villageois essayant de survivre, soit des bandits vicieux regroupés en gangs qui s’adonnent aux pillages et à la persécution de ces villageois. Cependant, un artiste martial nommé Kenshiro, un homme reconnaissable aux sept cicatrices qu’il porte sur le torse, est choisi pour devenir le successeur du légendaire art assassin le Hokuto Shinken. Au début de l’aventure, Ken ne cherche pas réellement à aider les villageois, mais au fur et à mesure que son étoile le guide, il se révèle comme étant le sauveur tant attendu par une population au bord du désespoir.
Edition française : série de 20 sur 27 volumes en cours chez Asuka à 6,50€ le tome.
- Dragon head :
de Mochizuki Minetaro
Une classe rentre à Tokyo d'un voyage, à bord du Shinkansen. La terre tremble, le train déraille et pratiquement tous les passagers meurent sur le coup. Seuls trois collégiens survivent à cet accident et se retrouvent enterrés sous les décombres du tunnel. Après des jours de recherche, ils trouvent enfin une sortie. Mais le monde extérieur a été ravagé par une catastrophe... . Un huis clos angoissant se met lentement en place, montrant la réaction des trois jeunes élèves face au chaos.
Edition française : série complète en 10 volumes chez Pika à 10,50€
- MW :
de Osamu Tezuka
Yuki Michio mène une double vie. Employé modèle à la banque le jour, il devient une ordure la nuit. D’étranges pulsions meurtrières le poussent à commettre les crimes les plus odieux. Après chaque crime, il effectue le même rituel et va se confesser auprès du prêtre catholique Garai. L'anti-héros de MW cache derrière lui un terrible secret remontant à son enfance. Témoin d'un accident qui avait vu la population de son île natale décimé par un gaz provenant d'une base américaine, il est rongé par son passé et seul son désir de vengeance le fait avancer. Tezuka évoque ici un Japon sous menace étrangère d'armes de destruction massive et son histoire contient une vraie charge politique contre la guerre et ses conséquences sur les civils.
" Dans ce manga qui est une transposition à peine déguisée des conséquences des radiations sur les populations civiles touchées par l'explosion nucléiare, Tezuka esquisse la possibilité d'une vengeance de la part des victimes à l'encontre des responsables du désastre."
Edition française : Série complète en 3 volumes chez Tonkam à 6,95€
- X
de Clamp
Kamui Shiro était encore très jeune lorsque sa mère périt dans un grand incendie. Lorsqu’il revient à Tokyo 6 ans plus tard, Kamui ne veut rendre de comptes à personne et n’accepte aucune aide. Pourtant, dès son retour dans la capitale, il est abordé par différentes personnes vraiment étranges. Une ultime bataille approche pour décider du destin de la Terre et Kamui doit y jouer un rôle décisif. En choisissant son camp, il scellera l’avenir de l’humanité. Qui des Dragons de la Terre ou des Dragons du Ciel l’emportera ? L’humanité mérite-t-elle d’être sauvée ou faut-il la sacrifier pour sauver la planète ?
X est un manga fantastique inspiré de la Bible et plus particulièrement de l'Apocalypse, a ainsi vu sa publication suspendue durant plusieurs mois en 1995 : montrant de nombreux tremblements de terre, censés annoncer l'imminence de la fin du monde, le manga avait heurté la sensibilité de nombreux lecteurs, alors que Kobe venait d'être touchée par un séisme.
Edition française : Série en cours en 18 tomes chez Tonkam à 6,95€.
- Global Garden :
de Saki Iwatari
A l'aube de sa mort, Einstein regrette son implication indirecte dans la conception de la bombe nucléaire. Il émet alors le souhait que la Terre devienne un havre de paix. Il rencontre deux enfants, Hikaru et Haruhi, qui voient le passé, et aussi l'avenir, dans leurs rêves. Ils lui racontent que, depuis les bombardements atomiques d'Hiroshima et Nagasaki, l'arbre de vie, Yggdrasil, est mourant. Cet arbre permet l'équilibre de la planète. Mais ils ont aussi vu le futur dans lequel cet arbre revivra grâce à une jeune fille dotée d'un pouvoir étrange. Einstein les aide à se procurer des médicaments ralentissant la croissance pour qu'ils puissent rencontrer cette jeune fille qui pourra exaucer son dernier vœu.
Edition française : série complète en 8 volumes chez Delcourt à 6,95€.
- L'école emportée :
de Kazuo Umezu
"L'école emportée" narre la disparition brutale d'une école primaire et de tous ses occupants, mystérieusement projetée dans un monde désertique, dépourvu de vie, où le sable dispute à un ciel aux brumes obscures les limites incertaines de l'horizon noir. Complètement dépassés par la situation, les adultes chargés de la protection des enfants vont se révéler incapables d'assurer leur rôle. Certains laisseront libre cours à leur folie naissante, d'autres préfèreront le suicide. C'est dans ce monde que les enfants, désemparés, à court de repères tant familiaux que géographiques, se devront à eux seuls de s'accorder l'espoir d'une survie improbable.
Edition française : Série complète en 6 volumes chez Glénat à 7,50€ le tome.
- Jacaranda
de Shiriagari Kotobuki
Au beau milieu de Tokyo, perçant le béton, jaillit une jeune pousse d'arbre qui devient arbuste en un temps record, puis arbre. L'arbre se mue en gigantesque Jacaranda dont racines et branches détruisent les blocs de béton qui forment la ville. La panique des habitants achève de détruire la ville qui renaîtra sous un jour nouveau : un monde plus vert.
Le monde détruit par la nature...
Edition française : Oneshot chez Kanko à 11€
- Tokyo, fin d'un monde :
de Junichi Noujou
À l'époque du lycée, Yuma Oda a laissé un souvenir impérissable à l'un de ses professeurs : il a lévité, puis plongé toute sa classe en léthargie avant de disparaître ! Quelques années plus tard, Miho Omori est la seule ancienne élève à être sortie de l'hypnose collective. Elle travaille au « bureau de recherches des communications futures », un service du gouvernement qui s'intéresse au paranormal. Son chef, Taro, enquête sur Yuma Oda, qui serait l'un des mystérieux « hommes du futur ». Qui sont-ils ? Quel est leur but ? Le temps presse : partout dans Tokyo, les signes avant-coureurs d'une catastrophe s'accumulent...
Edition française : série en 3 volumes chez Delcourt à 6,95€. Le premier tome est sorti cette semaine !
Dans le même genre d'idée, il est pertinent aussi de noter que le gentil Astroboy, le robot préféré des petits japonais comme des grands, est mû par l'énergie atomique...
Les japonais ont un rapport très important à la science : ils ont été battus par elle (par la bombe) et ce sera par elle qu'ils réussiront à regagner leur valeur.
Ainsi les technologies sont extrêmement développées dans leur société mais dans un but éminemment pacifique. Malheureusement les japonais découvrent qu'elles peuvent également être destructrices et qu'une mauvais utilisation de la part de l'homme peut entrainer un bouleversement du monde.
Et quand l'homme bouleverse et pollue la nature, la Nature se venge....
Voilà ! C'était une petite sélection non-exhaustive !
Si vous avez connaissance d'autres titres, n'hésitez pas à m'en informer par commentaires !
Un autre article traitant du sujet dans les romans japonais suivra...