Auteur : Elodie Bernard
Editeur : Gallimard, Le sentiment géographique
Date de parution : Avril 2010
Prix : 17,90 Euros
ISBN : 9782070124954
224 pages
Note : 4 / 5
Elodie Bernard est une jeune femme qui a des couilles.
Nous sommes en 2008, la Chine va accueillir les jeux olympiques dans quelques semaines et des émeutes ont éclatées à Lhassa. Elodie a 24 ans et décide alors de partir pour le Tibet rencontrer la population tibétaine. Partir oui, mais elle fait le choix de pénétrer illégalement au Tibet, en dehors des groupes organisés imposés par les chinois.
Partie de Pékin en train, elle arrive à Xining, dans la région du Qinghai, aux portes du Tibet.
La voilà seule, sac au dos, qui va tenter de passer la frontière historique du Tibet sans aucune autorisation.
Cherchant un bus qui pourrait l'y conduire, elle se voit refuser l'accès, faute de laissez passer.
Elle s'enfonce alors dans la campagne environnante et croise sur sa route de nombreux petits villages reculés. Son avancée se fera alors au gré du hasard et de ses rencontres.
Car les rencontres se feront nombreuses. Tibétains comme chinois lui ouvrent leur porte et parfois même leur coeur.
En anglais et avec les quelques rudiments de tibétains qu'elle possède, Elodie va découvrir peu à peu le quotidien d'un peuple qui vit sous surveillance.
La police chinoise est omniprésente et infiltre même la population pour mieux dénoncer ceux qui menacent la sécurité intérieure. De nombreux tibétains disparaissent et personne ne connait leur sort. La peur règne chez les civils et sont encouragés à l'autocensure et même à dénoncer leurs voisins pour mieux se préserver. Accueillir une étrangère est d'ailleurs interdit et même très dangereux pour ses hôtes qui risquent la prison et bien plus encore. Les rencontres se feront souvent la nuit tombée, à l'abri des regards.
Pourtant les habitants, moines et religieux n'hésiteront pas à se confier à elle. Ils évoqueront la difficulté de conserver leur culture dans une société qui la stigmatise. Le tibétain n'est enseigné qu'en école primaire et l'administration a banni cette langue. Le tibétain ne sert donc plus à rien et les jeunes finissent par ne plus savoir le parler. On découvrira une littérature tibétaine prolifique mais peu traduite, les problèmes liés aux mariages inter-raciaux, la menace de la succession du Dalai-Lama, les meurtres gratuits, le choix de fuit en Inde ou de rester, les caméras de surveillance qui observent tout, le statut de la femme qui est moindre dans la société chinoise, etc...
Ils parleront aussi du nouveau confort : les bourses qui permettent d'aller étudier à Pékin, les vêtements plus confortables,...
Réussissant à atteindre Lhassa, elle découvrira une ville vérolée par l'arrivée des chinois : les maisons traditionnelles qui sont détruites au profit d'immeubles modernes, les prostituées qui essaiment dns les rues d'une ville pieuse et la culture religieuse détournée au profit du tourisme et du commerce.
Dans un récit très fouillé, ponctué de passages historiques et culturels qui éclaireront le néophyte, Elodie Bernard arrive à évoquer toute la difficulté pour les tibétains de se construire une nouvelle identité, entre traditions et modernité chinoise. Société en pleine transition, le Tibet s'affirme de plus en plus et les populations s'unissent peu à peu dans la révolte. La voyageuse livre un essai sans parti pris et laisse son lecteur seul juge des faits qui parlent d'eux-même.
Tout ceux que le Tibet intéresse doivent lire ce témoignage passionnant et extremement fort qui apporte un regard différent sur l'intimité d'une population chaleureuse mais cachée au monde.
" - Jamais un peuple ne pourra s'habituer à la présence d'un autre peuple qui s'est imposé chez lui par la force et non par consentement social. " nous dira une jeune tibétaine.
" Voir les files de camions militaires bâchés sur les axes routiers, voir les godasses des soldats fouler la ronde pieuse, ce sont là des signes de la tragédie qui se joue sur leur propre territoire, tel le mauvais ressac d’un mer sale dont on ne se débarrasserait jamais. "
A noter : Gallimard lance ici une nouvelle collection de récits de voyage
intitulée "Le sentiment géographique".
Ils viennent de paraitre également :
- Le voyage d'Allemagne, de philippe Barthelet et Eric Heitz
- La martre et le léopard, de Jean-Marie Laclavetine
A découvrir et à suivre pour les amateurs !