Je continue ma série de démolition des idées reçues sur les libraires commencée il y a un petit moment (bon oui je sais j'ai trainé un peu et je remercie Marie L de me rappeler à l'ordre...).
Le cliché du jour est le suivant :
2 - le libraire est un littéraire qui ne comprend rien aux chiffres
C'est bien connu, le libraire est un intellectuel. Il a fait des études de lettres, a buché de nombreuses années sur tous les auteurs connus et paré de sa science universelle sur le monde merveilleux de la littérature, il est paré pour prendre la gestion d'un rayon de librairie.
Faisant fi de ses notes catastrophiques en maths et fier de sa réussite professionnelle, il baigne dans un monde parfait où les chiffres sont bannis.
Et bien, si vous croyez le tableau idyllique que je viens de faire, vous vous fourrez le doigt dans l'oeil !
Car le libraire, du chiffre, il va s'en bouffer...
Ben oui, la librairie est un commerce aussi et non une oeuvre caritative... et qui dit commerce, dit chiffres.
Parce que votre rayon, pour ceux qui ont la chance d'en avoir la responsabilité, il va bien falloir le gérer.
Ce n'est pas le tout de conseiller des livres mais faut aussi surveiller son stock et faire ses achats au mieux.
Le libraire doit estimer ses achats à l'aûne de facteurs x ou y, tel que la notoriété de l'auteur, le sujet, l'éditeur, le prix, les ventes des éditions précédentes, les passages promo, ... et j'en passe. C'est loin d'être une science exacte...
Vous voilà donc parti dans de savants calculs :
- Pour le premier tome, j'en avait pris 50, j'en ai vendu 30 en 2 mois, j'en ai retourné 15 mais 3 mois après j'ai du en recommander 10 en sachant qu'il y avait des passages télé. Combien j'en prends pour le 2ème ?
- L'année dernière, c'était une destination à la mode, y'a eu beaucoup de prix promotionnels mais depuis les attentats il y a 6 mois, la demande à baissé. Combien j'en prends ?
Vous voyez un peu comme c'est facile ?
Le but étant de se stocker suffisament pour ne pas être en rupture tout en évitant le surstock qui engendrera des retours.
Faire les retours est donc aussi une tâche indispensable. Il faut les faire assez tôt pour éviter d'alourdir votre stock inutilement et de servir de trésorerie aux éditeurs (je rappelle que les retours sont en général recrédités aux libraires 2 mois plus tard environ...il faut savoir anticiper donc) tout en parant à tout éventualité d'emballement des ventes et en gardant des ouvrages de fond.
Il faut savoir également que les frais de retour sont à la charge de la librairie... donc moins on en fait, moins on dépense d'argent...
Bref, on ne vend pas des petits pois mais faut pas déconner non plus !
Parce que les patrons, eux, ils n'oublient pas l'essentiel :le chiffre d'affaire...
Tous les mois, vous allez devoir vous bouffer les chiffres récapitulatifs de votre rayon et de la librairie. Et
que ça compare avec N - 1 (le même jour mais l'année précédente), avec le mois précédent, avec le rayon d à coté. Parfois ça donne lieu à des réunions collectives où tout le monde y va de sa petite conclusion. Si les résultats sont mauvais, attendez-vous à devoir justifier la baisse et à trouvez LA solution qui va faire exploser les ventes. Chacun y sera de son petit commentaire pour expliquer la conjecture économique difficile.
Par la suite, on peut vous donner des listings de titres pour vous aider dans vos retours : les titres en stocks depuis plus de 1 an sans vente depuis 6 mois, les titres dépréciés à 100% qu'il faut absolumment liquider, ...
Vous allez également devoir négocier avec vos fournisseurs pour obtenir des sur-remises sur des opérations commerciales, histoire de grapiller quelques misérables points de marge ; Demander des compensations sur des titres non-retournables
Selon les entreprises, la pression des chiffres est plus ou moins importantes bien sûr.
Je ne vous parle même pas des libraires indépendants qui doivent gérer eux-même leur comptabilité...
Au lieu d'étudier le mouvement littéraire victorien ( vous remarquerez l'exemple pris totalement au hasard ), ces derniers doivent passer leur temps plongé dans les chiffres de la librairie...
Donc n'oubliez jamais que le libraire est tout autant un gestionnaire qu'un donneur de conseil.
Beaucoup de mes collègues délaissent cet aspect rébarbatif du métier. Pour ma part, ça me passionne tout autant et me semble interdépendant du reste.
Je tiens aussi à souligner que tous les libraires ne sortent pas de Lettres et qu'ils viennent de tous les cursus scolaires... J'en ai connu qui sortait de Droit, BTS tourisme, Psycho, LEA, ...Etc
Les rayons étant aussi variés que les études, tout le monde est bienvenu !
Pas de sectarisme donc !
Si vous avez des questions, n'hésitez pas !
Pour ceux qui auraient raté le premier épisode :
Previously in the Grenier :
1 - Le libraire passe ses journées à lire