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3 mai 2012 4 03 /05 /mai /2012 14:10

Demain-demain-01.jpgOctobre 1962. Soraya et ses 2 enfants débarquent d'Algérie pour rejoindre Kader, installé en France. Alors qu'elle pensait arriver dans un palace, Soraya découvre que le logement n'est qu'une miséreuse cabane située dans un bidonville. C'est le choc ! Pas d'électricité, pas d'eau courante, un toit en tôle qui fuit. Soraya peine à accepter la réalité, pourtant elle n'aura pas le choix. Comme des milliers d'autres immigrés entassés dans ce bidonville, la famille Safiri va devoir vivre dans des conditions insalubres, attendant désespérément le logement espéré dans ces grandes barres d'immeubles en construction.

 

Laurent Maffre revient dans cet album sur cette période peu glorieuse de l'histoire française : en pleine reconstruction d'après-guerre, la France a favorisé l'immigration massive de portugais, maghrébins, ... main d'oeuvre peu coûteuse pour les usines et les industries du bâtiment. Des immigrés dont on se soucie peu du logement et qui se retrouve entassés aux portes de Paris tandis qu'ils oeuvrent dans la journée à construire les habitations qui leur manquent. De cet état de fait est né le 127 rue de la Garenne. Ce terrain de 21 hectares situé à Nanterre va devenir un des plus grands bidonvilles de France. On le baptisera La Folie. 8000 à 10 000 habitants qui n'ont pour seule adresse que le 127 rue de la Garenne.

S'appuyant sur le travail de Monique Hervo qui, durant de longues années, vécut à La Folie pour soutenir ses habitants, sur des rencontres avec des familles immigrés ayant vécu au bidonville, Laurent Maffre retranscrit avec succès la situation de l'époque dans cet album très documenté qui offre un témoignage poignant.

 

Demain-demain-04.jpg

 

A travers l'histoire de la famille Safiri, nous allons découvrir le parcours d'une famille immigrée au sein de la République Française. La France, mirage fantasmé où coulerait l'argent à flot est loin de cette image d'Epinal. Mais pour ceux qui ont quittés leur pays, il est de bon ton de continuer à entretenir l'illusion. Mise en scène truquée de photos familiales avec décors architecturaux parisiens, cartes postales grandiloquentes, retour au pays triomphal avec argent et cadeaux. Il est difficile de détruire le mythe et de révéler ses difficultés lorsque l'on a tout quitté. La famille qui rejoint le mari ultérieurement n'en est que plus choquée.

La vie au bidonville est loin d'être sereine. La police rode et interdit tout construction en dure. Les habitants travaillent alors la nuit pour rendre "habitable" leur misérable cabane, planquant derrière la tôle et autres déchets le mur en briques monté en cachette. Des destructions arbitraires se font régulièrement. Les incendies menacent. Les ordures s'accumulent et sont brûlés lorsque l'odeur devient trop forte. Les enfants jouent près des camions et vont à l'école du quartier. Stigmatisés par leurs camarades mieux lotis qui vivent dans les HLM,  les "chaussures sales" en prennent leur parti avec la naïveté de l'enfance. Pendant ce temps-là, les pères triment, s'occupent de l'approvisonnement en eau, doivent faire face aux récriminations de leurs femmes, affronte une administration française odieuse et parfois même corrompu.

POurtant, malgré les difficultés, entraide et chaleur n'ont pas disparus, bien au contraire. Il y a les hommes qui se donnent des coups de main pour améliorer leurs logements. Il y a les enfants d'une accouchée qu'on prend en charge. Il y a ceux dont la maison à brûler qu'on reloge ici et là. Il y les français qui n'hésitent pas à fraterniser et à offrir leur aide. Il y a les fêtes aussi où les danses et les chansons amènent lumière et joie.

Voilà la vie d'un immigré au 127, rue de la Garenne.

 

L'auteur offre un récit réaliste et profondément humain sur ces hommes et ces femmes, unis dans l'adversité. Conçu dans le prolongement de son précédent album L'homme qui s'évada, l'auteur a souhaité mettre l'accent sur le témoignage direct de ces immigrés. Il leur laisse la parole, évitant une voix off narrative, et permet une identification plus facile, une empathie plus naturelle vis à vis de ses personnages.

Son trait, épuré et précis à la fois, fourmille de détails et rend avec beaucoup d'ampleur les sentiments et les émotions vécus. Les couleurs absentes se sont pas nécessaires tant le dessin se révèle fort.


Pour ma part, je vous avoue bêtement que j'ai tout découvert des bidonvilles de Nanterre avec cet album. Au delà du contenu historique, j'ai été frappé de la résonnance toute contemporaine de cette histoire. Combien de personnes vivent encore de cette manière-ci en France ? Bien plus qu'on ne l'imagine, je crois. Je pense entre autres aux roms qui subissent encore de nos jours le même genre d'oprobe et de difficultés.

Demain, demain me semble un album essentiel pour qui veut comprendre à quoi rime immigration et intégration. Celle d'hier mais celle d'aujourd'hui également. A l'heure où ces termes sont plus des arguments de campagne et des concepts chiffrés, il me parait indispensable de voir et de comprendre la réalité humaine qui se cache derrière ces mots. Laurent Maffre peut se féliciter d'avoir atteint son objectif : celui de donner la parole à celles et à ceux qui ont été sacrifiés sur l'autel du travail et de la rentabilité.

C'est un véritable coup de coeur que je partage avec vous et je vous enjoins de découvrir cette histoire !

 

 

Liens :

Interview audio de l'auteur et de Monique Hervo.

Archives audio de Monique Hervo : Cette dernière a enregistré des centaines d'heures de témoignages d'habitants du bidonville. Aujourd'hui, plusieurs heures ont été numérisés et vous sont proposés en libre accès, accompagnées des dessins de Laurent Maffre. Je vous encourage chaleureusement à aller écouter ces voix qui ont traversées les années offrant ainsi une prise directe sur la situation de l'époque.

 

D'autres avis :

Mo' -

Demain-demain-02.jpg

 

Demain-demain-03.jpg

Demain-demain-05.jpg

 


  Titre : Demain, demain - Nanterre, bidonville de la folie

Auteur : LAurent Maffre

Éditeur : Actes Sud BD / ARTE

Parution : Mars 2012

    160 pages

Prix : 23,40€



 

 

 


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commentaires

M
<br /> N'oubliez pas d'aller jeter un oeil au web documentaire réalisé par Laurent Maffre et<br /> Fabrice Osinski regroupant un tas d'archives sonores recueillies par Monique Hervo.<br />
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C
<br /> <br /> Si tu lisais l'article jusqu'au bout, tu verrais que le lien était déjà indiqué !<br /> <br /> <br /> J'ai rencontré l'auteur à un salon de gauchistes (ça t'aurait plu !) et je l'ai trouvé très intéressant ! Mais je vois que vous l'avez reçu !!! Et Mallet aussi ! J'ai son dernier album mais je<br /> reste un peu sur la réserve... Tu en penses quoi, toi ?<br /> <br /> <br /> <br />
M
<br /> De mon côté, j'ai rapidement fait un parallèle entre "Demain, demain" et "Intrus à l'étrange". Il y a une élégance et un raffinement dans le dessin que je trouve assez proches.<br />
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B
<br /> Je viens justement d'en lire une critique très positive dans le dernier numéro des Inrockuptibles !<br />
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C
<br /> <br /> Le hasard fait bien les choses et j'espère qu'à nous deux, on aura su te convaincre !<br /> <br /> <br /> <br />
M
<br /> Je repose la question : ne trouves-tu pas une certaine similitude avec le style de Simon Hureau ?? <br />
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C
<br /> <br /> Là comme ça, je te dirais que non. J'ai en tête un dessin plus rond et plus épais que celui de Maffre.<br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> On dirait que la BD devient un support privilégié pour les grands problèmes de société, elle les fait très bien passer. Je note celle-ci, le dessin a l'air intéressant.<br />
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C
<br /> <br /> Oui en effet ! Le support dessiné rend les choses plus accessibles, plus faciles qu'un article ou un essai indigeste.<br /> <br /> <br /> <br />

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