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17 août 2012 5 17 /08 /août /2012 07:00

home-01.jpgFrank Money revient de Corée où il a été envoyé comme soldat. Le retour à la vie civile ne se fait pas sans difficulté. Il est sans le sou et obsédé par certaines images de son passé guerrier. Mais sa petite soeur Ycidra, dite Cee, est malade. Un appel au secours le pousse à prendre la route pour rejoindre cette dernière et la ramener à Lotus, la ville de leur enfance. Un voyage initiatique au coeur de l' Amérique raciste des années 50, qui sera le début de la reconstruction pour Cee et Frank.

 

Ce 10ème roman de Toni Morrison qui reprend les thèmes habituels de l'auteur est, une fois de plus, un excellent cru !

Nous sommes dans les années 50 et la ségrégation fait encore rage dans cette Amérique meurtrie par la guerre. Celle de Corée vient de se terminer et les soldats rentrent chez eux, traumatisés. C'est le cas de Frank Money, un noir-américain, qui subit régulièrement des crises d'angoisse paralysantes et garde une rage au fond de lui dont il ne sait que faire. Isolé, solitaire malgré la présence d'une petite amie et surtout sans le sou, il doit se contenter de la médaille reçue pour ses loyaux services et regarde d'un oeil extérieur les commémorations des braves soldats. Franck est extérieur à tout ça. Il est noir et personne ne voit en lui un de ses héros qui a combattu pour le pays. Parti à la guerre en compagnie de ses amis d'enfance, il est le seul survivant de ce groupe de copains et culpabilise d'être rentré vivant. Alors que sa relation avec sa petite amie lassée de son laissez-aller prend fin, Franck part chercher sa petite soeur, lorsque le courrier d'une amie l'alerte de sa situation.

Cee est ce qu'il a de plus précieux. Sa seule vraie famille. Il l'a toujours protégé jusqu'à son départ pour la guerre. Les deux enfants ont grandi à Lotus, sous la coupe d'une grand-mère détestable qui hébergea à contrecoeur la famille fuyant le Texas et ses menaces raciales. Dès qu'il l'a pu, Frank a fuit cette ville et cette maison haïes. Et pourtant, il y reviendra. Avec Cee, sauvée des mains d'un médecin qui l'utilisait impunément pour ses expériences médicales. Il y reviendra et trouvera, en compagnie de sa soeur et contre toute attente, la rédemption et surtout cet apaisement inhérent à ce foyer, à ce "home" où chacun retrouve ses racines et cette plénitude qui vous fait dire : je suis ici chez moi, à ma place.

 

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Toni Morrison nous fait pénétrer dans l'intimité de son personnage principal avec beaucoup de finesse et de subtilité. Le roman se constitue d'une double narration qui alterne entre un narrateur omniscient et un Franck Money qui s'adresse directement à vous, dans des pages particulièrement fortes. Impossible de ne pas avoir une pensée empathique pour cet homme dont nous ressentons pleinement la solitude et le décalage envers ses congénères grace à l'écriture de l'auteur. Des sentiments liés à la ségrégation dont est victime Frank Money ainsi que le reste de la population noire.

Car, ici, le thème principal est bien ce racisme qui occupe toujours les esprits blancs et Toni Morrison réussit la gageure d'en faire son sujet sans nommer une seule fois la couleur de peau de Frank. La compréhension et les informations autour de ce "détail" se font avec intelligence à travers les scènes qui sont rapportés et que le lecteur pourra interpréter aisément. La puissante scène inaugurale, qui hantera le roman à de nombreuses reprises et rapporte le lynchage d'un homme jeté dans un fossé vu par Frank et sa soeur, est l'exemple phare. Plus loin, c'est le Green book qui est cité. Ce fameux guide de voyage, édité de 1936 à 1964, était destiné aux noirs et rapportaient les hôtels, restaurants, ... où ils seraient bien reçus. Ce parti-pris de ne pas citer nommément ce racisme renforce d'autant plus l'horreur et l'injustice de ces brimades. Alors quoi, ces hommes sont semblables : pourquoi sont-ils stigmatisés ? Bref, le procédé est admirable d'intelligence et de force.

Si le personnage de Frank est remarquable, les femmes ne sont pas moins fortes dans cette histoire. Cee, brisée par le médecin qui se joua d'elle, va se révéler à elle-même, en prenant en main son destin. Guidée et soutenue par d'autres femmes, elle sortira plus forte de cette histoire et montrera, à son tour, le chemin à Franck. L'idée d'entraide et de communauté est ici très forte. Si Cee trouvera l'appui auprès d'autres femmes noires, Franck trouvera sur sa route de nombreuses mains secourables qui l'aideront à retrouver sa soeur.

 

Violent, sombre, Home n'en est pas moins un roman lumineux qui se ferme sur l'attachement de ses habitants à cette terre envers et contre tout, sur cette liberté de choisir sa vie. A l'image de Frank et de Cee qui, bientôt, prendront en main leur destin, les noirs américains lutteront pour leur identité et leur droit d'appartenir aussi à ce pays. Blessés mais vivants.

 

Le roman se termine sur ces quelques mots qui résume à merveille le fond de ce roman :

 

" Je suis resté un long moment à contempler cet arbre.

Il avait l'air tellement fort

Tellement beau.

Blessé pile en son milieu

Mais vivant et bien portant.

Cee m'a touché l'épaule

Légèrement.

Franck ?

Oui ?

Viens mon frère. On rentre à la maison. "

 

Home est sans aucun doute le premier roman de la rentrée à ne pas rater. Tenez-le vous pour dit.

 

 


Titre : Home

Auteur : Toni Morrison

Éditeur : Christian Bourgois

Parution : 23 août 2012

  153 pages 

Prix : 17€


 

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3 août 2012 5 03 /08 /août /2012 07:00

nashville-chrome-01.jpg Qui se souvient aujourd'hui du groupe country The Browns ?

Contemporains et amis d'Elvis Presley, les 3 membres du groupe connurent une ascension fulgurante, avant de retomber dans l'anonymat. Si aujourd'hui, leur réputation n'est plus la même, Rick Bass, qui nous avait plutôt habitué aux grands espaces, revient sur leur parcours qu'il retrace dans une version romancée et se penche sur un destin à la croisée de la gloire et de la chute dans une grande fresque familiale autour de la musique.

 

Maxine, Bonnie et Jim Ed ont grandi dans les années 30 dans une famille pauvre de l'Arkansas. Vivant au milieu de la forêt pour les besoins de l'acierie familiale, les enfants développèrent une ouie incroyable qui leur permettaient de déterminer si les scies étaient bien affutées.

 

" Quand la lame avait atteint l’affûtage parfait, absolu, la scie émettait un son particulier, et cette harmonie aiguë n’était guère différente de l’harmonie tempérée que les Brown s’efforçaient de réaliser avec leurs voix. "

 

Après avoir chantés dans les coeurs d'église et le restaurant familial, ils deviennent bien vite des petites vedettes de la radio, avant d'être attachés (et exploités) à un producteur avare qui les fit travailler sans relâche et sillonner les routes pour donner des concerts à tout va. Peu importe, naifs et ennivrés par la musique, les Browns ne pensent qu'a chanter.

 

"Ils ressemblaient à des chevaux de course avec des oeillères, fonçant sur la piste de terre. Un jockey les fouettait et ils se rendaient vaguement compte qu'il y avait du monde dans les tribunes, mais ils ne s'interrogeaient pas sur le tracé de la piste",

 

nashville chrome 03Le restaurant et la demeure des Brows devient un arrêt obligatoire pour les musiciens de l'époque et bientôt le groupe sympathise avec un certain Elvis Presley (17 ans) qui se fiancera avec Bonnie avant de se perdre dans la gloire. Sous la tutelle de Chet Atkins, le groupe libéré prend une autre envergure et enchaîne les succès. Mais bientôt, le temps de la country passe et The Browns, fatigués, décident d'arrêter en dépit de la volonté et de la recherche de gloire de Maxine.

Une Maxine dont la voix contemporaine s'entremêle à la chronologie du passé des Browns. Une Maxine vieillissante qui, à 80 ans, continue à croire au succès.

 

" Certains des auditeurs passaient de la country à la pop…. Le public s’éloignait d’eux, il en suivait un autre à présent. Ce qui avait valu aux Brown une pareille adulation –leur capacité à camoufler leurs émotions sous une façade parfaitement lisse - serait en définitive leur faiblesse, mais ils seraient les derniers à le savoir. Il faudra un demi-siècle à Maxine pour le comprendre… "

 

Nashville chrome est un ouvrage multiple.

Roman quelque peu biographique, il nous permet de découvrir le parcours de ce groupe célèbre et son histoire intimement liée à une époque, celle des années 50 qui transparaissent en filigrane. La chronologie et les détails sont précis et s'attachent à rendre le quotidien et l'atmosphère de ces vies exceptionnelles, entre les difficultés, les drames familiaux et la légereté de la gloire musicale. On y croise un surprenant Elvis, profondément modeste et humain, et l'auteur nous gratifera de scènes particulièrement belles entre Bonnie et ce dernier. Leur rupture est bouleversante, inaugurant le gouffre dans lequel Elvis plongera bientôt, ennivré par le succès.


Mais sans avoir l'air d'y toucher, Rick Bass fait glisser son récit vers un véritable roman. En s'appuyant sur des éléments véridiques, l'auteur réussit à construire une histoire avec du souffle, imaginant scènes, émotions et situations, d'une manière telle qu'il transcende la réalité, faisant des Brown de véritables personnages de fiction. S'attachant plus particulièrement aux 2 soeurs, Maxine et Bonnie, il décrypte le mirage de la gloire et met en parallèle les réactions opposées des 2 soeurs. Alors que Bonnie, amoureuse, semble heureuse et satisfaite de son sort et de la petite vie tranquille qu'elle s'est construite, Maxine, au contraire, reste profondément amère de la fin prématurée du groupe et ressasse la gloire perdue qu'elle espère toujours regagner pendant ses vieux jours. Ses interventions scandent régulièrement le texte et le lecteur découvre une vieille dame affaiblie qui vit dans son passé et attend éperdument celui qui lui offrira la reconnaissance méritée. Viendra un petit gamin, armé d'un camera, qui montera un film sur cette Maxine âgée et qui lui offrira ce rêve tant attendu. Cette vieillesse décrite sans concessions avec tout ce qu'elle a de ridicule, de misérable et de dérisoire mais aussi de touchant, furent pour moi les séquences les plus bouleversantes de ce roman, tant j'aurais pu voir le film se dérouler sous mes yeux.

 

« Elle comprend qu’elle sera la dernière à partir – elle le sait depuis des décennies – mais elle n’en saisit toujours pas le sens ni la signification, ni la responsabilité que cela implique. La solitude de celui qui reste est infinie. »

 

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Loin d'être la simple biographie romancée qu'elle parait, Nashville chrome est d'une toute autre trempe, d'une toute autre ampleur. Rick Bass parle avec force de ces destins brisés (ou pas), de l'innocence perdue, du tourbillon de la musique, avec une psychologie prononcée et une langue travaillée qui réussit à saisir l'ambiance d'une époque où tout semblait possible, à capter les émotions personnelles tout comme les paysages.

Mais surtout l'auteur réalise, à sa manière, le souhait de Maxine, en rendant hommage à ce groupe oublié qui fut, rappelons-le, le groupe préféré des Beatles.

Inutile de connaître le groupe ou d'être spécialiste de la musique country : vous aurez compris que ce livre est à lire comme un roman ! Une grande réussite, à n'en pas douter !


 

Liens :

Le site de Maxine Brown.

Les Browns à découvrir en vidéo :



 


Titre : Nashville chrome

Auteur : Rick Bass

Éditeur : Bourgois

Parution : Mars 2012

  378 pages 

Prix : 25€

 


 

Merci à Babelio pour ce masse critique si intéressant !


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12 mai 2012 6 12 /05 /mai /2012 07:00

club-de-chasse-01.jpgComme tous les étés, James Quinn vient passer quelque semaines au Club du centenaire, fréquenté par divers hommes d'affaires ou riches rentiers. Il y retrouve entre autres son ami Vernon Stanton, un fanfaron qui aime semer la zizanie et provoquer en duel ses comparses. Alors que chacun tente de chasser, pêcher, profiter des vacances en toute quiétude, l'ambiance se dégrade peu à peu, sous les coups de butoir de Vernon.

 

Voilà longtemps que je n'avais pas autant peiné à lire un ouvrage... Ma découverte de Thomas McGuane, par l'intermédiaire de son tout premier roman réédité par les Éditions Bourgois s'est faite sous le signe de la déception. J'avais lu une vingtaine de pages auxquelles je n'avais rien compris avant de l'abandonner lâchement. Engagée auprès de Babelio, j'ai fini par reprendre ma lecture du début et à la mener à bien. Hélas, je crois bien que le but, le sujet de ce texte m'a totalement échappé.

 

Nous suivons donc les différents membres de ce club de chasse fondé par leurs aïeux et dont la carte se transmet de génération en génération. A son arrivée, Quinn appréhende de rencontrer Vernon, certain que ce dernier n'hésitera pas à le ridiculiser une fois de plus. Et de fait, Vernon écrase avec orgueil et souffrance son ami à l'occasion de plusieurs duels au pistolet. Car oui, contre toute attente ces deux-là sont amis de longue date alors que tout portait à croire que les deux hommes se détestaient.

Il est difficile de saisir quelles sont les relations entre eux deux, tout comme le pourquoi des actes et des paroles de Vernon qui n'hésite pas à semer les graines de la mésentente entre les membres du club. Il réussit à faire virer l'intendant, remplacé par un incompétent notoire qui mettra bientôt le club sens dessus dessous.

 

Bref, la narration m'a semblée franchement obscure et même décousue. Si on finit par comprendre quelque peu le but inavoué de Vernon à la toute fin de l'histoire, le ton censément ironique m'a laissé de marbre, les personnages m'ont ennuyés au possible, l'action m'a paru très statique malgré les fantaisies de Vernon.

Au final, je n'ai rien compris à ce roman que je trouve mal fichu et serais ravie que quelqu'un m'éclaire sur le sujet...

 

 

 


Titre : Le club de chasse

Auteur : Thomas McGuane

Éditeur : Bourgois, Titres

Parution : Janvier 2012

    248 pages

Prix : 8€

 


 

Je m'excuse auprès de Babelio d'avoir, pour la première fois, tant tardé à rendre mon avis...

 

 

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23 avril 2012 1 23 /04 /avril /2012 07:00

les-revenants-01.jpg

  Tout débute par un accident de voiture. Un couple d'adolescent, Nicole et Craig, font une sortie de route. Shelly, la seule témoin, découvre la scène : Nicole inconsciente et virginale dans les bras de son amoureux. Nicole mourra et Craig sera accusé par la vindicte populaire de l'université d'avoir tué sa petite amie. Pourtant quelques mois plus tard, ce dernier retourne étudier dans les mêmes lieux où il a connu Nicole. Soutenu par son ami Perry qui fut et reste son compagnon de chambre, Craig tente d'avancer et d'oublier. Mais les fantômes du passé rodent toujours. Certains étudiants auraient aperçu la jeune fille sur le campus, Craig reçoit d'étranges cartes postales signées Nicole tandis que Perry s'est inscrit à un cours sur la mort.

 

A l'image de Moi, Charlotte Simmons, de Tom Wolfe auquel le roman m'a fait penser, voici une nouvelle fois un roman acerbe qui décrypte la vie des campus américains. Sous une apparence tranquille où chacun semble couler des jours heureux, l'université cache de sérieuses failles, tant du côté des étudiants, que des professeurs ou des responsables.

Craig tente de faire son deuil tout en étant perturbé de n'avoir aucun souvenir de l'accident. Il se met à croire au retour spectral de Nicole tant ce garçon si amoureux a vu sa vie sombrer à la disparition de la jeune fille.

Perry, le bon copain, semble aussi mal à l'aise. Se passionnant pour ce cours qui détaille les manifestations de la mort dans le folklore traditionnel, il s'avère lui aussi quelque peu fasciné par Nicole qu'il connaît depuis son plus jeune âge et reconnaît à son tour l'avoir vu depuis sa mort.

Shelly, une lesbienne quinquagénaire qui a tenté en vain de faire reconnaître à la presse le ramassis de bêtises qui ont été dites à l'occasion de l'accident, se voit manipulé par Josie, une jolie étudiante qui travaille pour elle et qui s'avère être la compagne de chambre de Nicole.

Enfin, il y a Mira, professeur spécialisée sur la mort, son folklore et les manifestations fantastiques qui lui sont liés. Son couple bat de l'aile, la thèse qui lui permettrait de rester enseigner sur le campus est au point mort. Intriguée par l'effervescence toujours palpable autour de la mort de Nicole, elle décide de consacrer son étude à la mort de la jeune fille.

D'autres personnages gravitent autour qui complexifient un peu plus le sujet.


Car oui, l'intrigue est un véritable imbroglio où tout va avoir son importance. Le roman débute lentement et grâce à des flashs back habilement distillés permet au lecteur de comprendre la vie des uns et des autres avant l'accident. Puis peu à peu, le rythme s'accélère et l'ambiance tendue devient bientôt terriblement étouffante tendant vers un final qu'on attend dramatique. Sans crime, l'histoire tend pourtant à devenir une enquête et le lecteur est avide de révélations et de vérité.

Flirtant avec le surnaturel, Laura Kashischke réussit avec brio à perdre son lecteur dans une ambiance oscillant entre le réalisme le plus dérangeant et un fantastique troublant, et à conclure son roman sans enlever toute l'incertitude concernant ces manifestations spectrales. La fascination pour la mort est clairement palpable ici

 

Véritable charge contre les campus américains, Les revenants n'hésite pas à dénoncer les traditions de fraternité et de sororité, ces confréries estudiantines qui n'hésitent pas à bizuter et à instaurer des rites de passages absurdes, de manière inconséquente. Les responsables du campus ne sont pas épargnés, n'hésitant pas à dissimuler certains faits qui rejailliraient négativement sur l'image de l'université. Tenus par leurs généreux donateurs ou leurs compagnons de fraternité, les petits arrangements entre amis ont force de loi.

Chacun s'inscrit donc dans un groupe et ceux qui s'en excluent librement, comme Craig, doivent affronter le mépris et la vindicte populaire.

 

Les revenants est un formidable roman à la construction impeccable.Très dense, riche de multiples sous-intrigues qui finissent par toutes se rejoindre, il déroule habilement le fil d'une histoire en vase clos. Agrémenté de personnages excellemment étudiés et à la psychologie poussée, il emporte son lecteur à la marge de la réalité pour mieux le perdre dans cette obsession de la mort à la lisière d'un fantastique morbide.

Un récit bien sombre qu'on savoure pourtant avec délicatesse, entouré de ces revenants, les morts invisibles tout comme ces vivants en sursis, pervertis par leurs pairs et à l'innocence cruellement sacrifiée sur l'autel du collectif.

 

 

D'autres avis :

Leiloona - La ruelle Bleue - Kathel - Lucie - Claire - Théoma - Joelle -  

 

 


Titre : Les revenants

Auteur : Laura Kasischke

Editeur : Christian Bourgois

Parution : Septembre 2011

    588 pages 

Prix : 22€


 

prix lectrices ELLE

 

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14 novembre 2011 1 14 /11 /novembre /2011 07:00

parfum de jitterbug 01Tom Robbins qui m'avait régalé avec son roman Une bien étrange attraction est à nouveau mis à l'honneur chez Gallmeister.

 

Cette fois-ci, le lecteur va plonger dans les délices du parfum et d'un élixir de jouvence qui traversera plusieurs siècles.

Priscilla, serveuse à Seattle, consacre ses nuits à faire des expériences chimiques pour trouver la recette du Taco parfait.

A la Nouvelle-Orléans, Mme Devalier et son assistante V'lu travaille dans leur petite parfumerie en perte de vitesse pour confectionner le parfum ultime qui leur fera remonter la pente.

Enfin, à Paris, l'excentrique Marcel Fever, nez de la société du même nom qu'il dirige avec son cousin Claude peaufine le futur best-seller de la maison.

Rien ne les relie excepté le fait que, tous les jours, une betterave leur est livré mystérieusement.

 

" Un vieux proverbe ukrainien nous met en garde : "Une histoire qui commence avec une betterave finit toujours avec le diable."
Voilà un risque qu'il nous faut prendre."

 

L'origine de ces betteraves est à chercher dans l'autre histoire que Robbins nous sert en parallèle : Alobar, roi de Bohème du 8ème siècle refuse de se soumettre à la tradition qui commande de tuer leur dirigeant aux premiers signes de vieillissement (impuissance, cheveu gris). Ce dernier s'échappe grâce à un subterfuge et prend la route à travers l'Europe et le monde mais aussi à travers les siècles. C'est que notre homme vivra 900 ans et que sa quête éperdue d'immortalité se réalisera à force de conviction et de rencontres. Les moines Bandaloop l'initieront à leurs secrets et la belle indienne Kudra le régénérera à force d'amour et de sensualité. Le dieu Pan sera aussi de la partie et son fumet de bouc, un ingrédient fort peu goutu de cette aventure au goût de betterave. Il faut dire aussi qu'avec tout ce christianisme tapageur, notre dieu-bouc n'est plus honoré et perd peu à peu de son pouvoir.


Parfum, betterave, dieu, immortalité, religion : voilà un cocktail improbable que Tom Robbins réussit avec brio à entrelacer ! Ne cherchez pas ici un récit réaliste, l'auteur part comme à son habitude dans des élucubrations loufoques qui cachent malgré tout une intense réflexion.

Le roman se construit autour de chapitres alternés qui nous conduisent soit auprès d'Alobar, soit auprès de nos 3 parfumeurs. Le lien n'est évidemment absolument pas évident et ne se fera jour qu'au terme d'une lente narration qui balade son lecteur sur les traces du roi immortel. On le suit et on découvre à travers ses yeux de néophyte différentes civilisations, différentes conditions auquel notre homme s'adapte toujours sans soucis.

Toujours obligé de fuir pour différentes raisons ou circonstances, dont le fait que son visage ne vieillit pas, il croise sur sa route différentes religions : les hindouistes qui exigent d'une veuve qu'elle s'immole par le feu sur le cadavre de son mari, les moines bandaloop (bouddhistes ?) qui voit le secret de la longévité dans la méditation et l'ascèse, les païens qui honorent le roi de la galette pour mieux en lui offrant tout ce qu'il souhaite pour mieux le tuer 7 jours plus tard et les chrétiens enfin qui crient à la magie noire et aux socières dès que quelque chose leur échappe et qui tuent le dieu Pan à petit feu par leur rigorisme et leur individualisme.

Il sera donc question ici de vie, de mort, d'amour et de plaisir de vivre. Alobar, lui, a fait clairement le choix de la vie, s'épanchant régulièrement dans des activités à haute teneur sexuelle, un bel hommage au lubrique Pan dont il essaye de sauvegarder l'image et la force (l'odeur de bouc en rut, elle, est toujours là !).

 

"On dit que lorsqu'un homme est dans l'attente de relations sexuelles imminentes, sa barbe pousse à un rythme accéléré. Il n'est pas impossible qu'Alobar doive s'arrêter pour aller se raser avant la fin de ce paragraphe."

 

On retrouve la prose mystique de notre auteur qui s'amuse de ses personnages et leur met dans la bouche bon nombre de théories plus ou moins fumeuses sur l'immortalité mais qu'importe le flacon pourvu qu'on est l'ivresse ! Mais le flacon est ici de qualité. L'écriture est toujours aussi pleine d'absurdités et l'auteur sait parler avec beaucoup de sérieux de choses totalement décalées.

Le roi de la métaphore impossible (le "Houdini de la métaphore" tout de même !) est toujours en forme et, même si je regrette que ma lecture ait été un poil moins jouissive que son roman précédemment édité, je ne me lasse pas de l'humour et de l'inventivité dont il fait preuve.


" Priscilla vivait dans un studio. On appelait ça un <<studio>> parce que l'art est censé donner du prestige et que les propriétaires ont un intérêt personnel à nous faire croire que les artistes préfèrent dormir dans leur atelier. Les vrais artistes ne vivent presque jamais dans des studios. Il n'y a pas assez d'espace et la lumière n'y est pas bonne du tout. Ce sont les employés qui vivent dans des studios."

 

" La masse de son corps  qui tenait à la fois du carré de citrouilles, de la salle de bal espagnole et de l'idole païenne fit floc quand elle s'affala sur un confident couleur citron vert. "

 

" Les toilettes dans chaque appartement faisaient le même bruit qu'un ténor italien qui se gargarise avec du Lavoris, et la nuit les réfrigérateurs faisaient penser à des bisons en train de brouter. "

 

Un parfum de Jitterbug est donc là encore un roman jubilatoire qui ne lassera pas de surprendre son lecteur qui cherchera toujours le rapport entre parfum et Jitterbug !

Que les amateurs de betterave se rallient !

 

 

 

Extraits :

 

L'apologie mémorable de la betterave :

 

" La betterave est le plus profond de tous les légumes. Le radis, convenons-en, est plus fiévreux, mais le feu du radis est un feu froid, ce n'est pas le feu de la passion, c'est celui du mécontentement. Les tomates ne manquent pas de vigueur ; toutefois, il court en elles une veine de frivolité. Les betteraves, elles, sont terriblement sérieuses.
Les peuples slaves doivent leurs caractéristiques physiques aux pommes de terre, leur inquiétude sourde aux radis, et leur sérieux aux betteraves.
La betterave, légume mélancolique par excellence, est le plus disposé à souffrir. Essayez donc de faire couler du sang en pressant un navet...
La betterave, c'est l'assassin qui retourne sur les lieux de son crime. La betterave, c'est ce qui arrive lorsque la cerise finit avec la carotte. La betterave, c'est l'ancienne ancêtre de la lune d'automne, barbue, enterrée, presque fossilisée, les voiles vert foncé du bateau lunaire échoué, cousues de veines où coule un plasma primitif ; la ficelle du cerf-volant qui reliait autrefois la Lune à la Terre ; barbe boueuse, désormais, forant désespérément le sol à la recherche de rubis.
La betterave était le légume préféré de Raspoutine. Ça se voyait dans ses yeux.
En Europe, on cultive beaucoup une grosse betterave appelée betterave fourragère. Peut-être que c'est cette betterave fourragère que l'on voit chez Raspoutine. A n'en pas douter, il y a de la betterave fourragère dans la musique de Wagner, même si c'est le nom d'un autre compositeur qui commence par B-e-t-, pardon, B-e-e-t...
Bien sûr, il y a des betteraves blanches, desquelles suinte du jus sucré et non du sang, mais celle qui nous intéresse, c'est la betterave rouge ; la variété qui s'empourpre et enfle comme une hémorroïde, une hémorroïde contre laquelle il n'existe aucun remède.
(En fait, il y a bien un remède : demandez à un potier de vous faire un anus en céramique - et quand vous ne serez pas assis dessus, vous pourrez toujours l'utiliser comme bol pour déguster votre bortsch.)"

 

" La réalité est une notion subjective, et cette culture se caractérise par une tendance stupide à considérer que quelque chose est important seulement si c'est sérieux et sévère.(...) Quand on est malheureux, on en vient à s' préoccuper énormément de soi-même. Et on en vient à s'prendre tellement au sérieux ! Les gens véitablement heureux, c'est-à-dire les gens qui s'aiment véritablement, eux n'pensent pas beaucoup à eux-mêmes. Vous prenez une personne malheureuse, elle ne supporte pas que vous essayiez d'lui remonter le moral, parce que ça veut dire qu'elle doit arrêter de s'appesantir sur elle-même et reporter l'attention sur l'univers. Se sentir malheureux, c'est la forme ultime de l'autocomplaisance."

 

Liens :

Premières pages du roman

 


 Titre : Un parfum de Jitterbug

Auteur : Tom Robbins

Editeur : Gallmeister, Americana

Parution : 6 Octobre 2011

    456 pages 

Prix : 24,90€

 


 

1% littéraire 2011

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7 novembre 2011 1 07 /11 /novembre /2011 07:00

Bienvenue-a-Oakland 01T-Bird, le narrateur, vit à Oakland. Pas dans les beaux quartiers huppés aux rues si propres qu'elles donnent envie de s'allonger, non, dans le Oakland crasseux et délabré, dans les quartiers où blancs et noirs se font la guerre malgré leur misère commune, dans le coin des exclus de la société qui rament pour survivre.

T-Bird, lui, est né en bas de l'échelle. Il a grandit dans une caravane avec un père qui n'est pas le sien et une mère qui a préféré écarter les jambes pour une flopée de Hells Angels. Il a connu toute sorte de boulot et ce dès le plus jeune âge où il apprend que rien n'est offert dans ce monde et qu'il faut batailler pour avoir de quoi vivre. Aujourd'hui, T-Bird vit dans dans un garage sans fenêtre et infesté de bestioles qui lui grimpent dessus pendant la nuit. Parfois, il dort dans son camion-benne qui lui sert à ramasser les ordures.

Et T-Bird a la rage. Une rage qu'il crie alors qu'il nous raconte sa vie, faite de petits boulots merdiques, d'injustice et de misère. Une rage qui dénonce la pourriture de ce monde et prend le pas sur une violence physique qu'il ne pratique pas. Une rage mais aussi un amour incommensurable pour ce lieu qui l'a vu naître et qui contient aussi de la beauté dans ses pires fondements.

 

" Si, la merde qu'on voit, les étrangers considèrent qu'elle est laide, c'est parce qu'ils sont habitués à la merde que, eux, ils trouvent belle et qu'ils ne perçoivent pas combien leur monde peut nous paraître immonde à nous, la laideur de leur petit personnel et de leurs bagnoles européennes ou japonaises hautement antiseptiques qu'aucune tache de sperme ni de honte ne corrompt jamais, la laideur de leurs briques si parfaitement alignées, de leur carrelage récuré, de leurs jardiniers, de leurs plombiers, tous ces gens qui travaillent pour eux - nous  . Mais nous, parce qu'on est nous, on voit des trucs magnifiques qu'ils ne voient pas. La beauté d'une haie bien taillée ou d'une rampe d'accès au béton bien coulé, la beauté d'un petit ange mexicain en cloque à treize ans, obèse et triste, la beauté d'un immeuble correctement démoli. Nous qui vivons dans la laideur, on connaît la beauté - et elle n'a rien à voir avec ce qu'on trouve dans les magazines branchés des salles d'attente des toubibs ou des avocats spécialisés dans les divorces."

 

Bienvenue à Oakland, donc, bienvenue en enfer.  Dès les premières pages, T-Bird s'adresse au lecteur qu'il prend à parti. Né du mauvais côté avec peu de possibilité de s'éléver, il enrage de ne pouvoir s'échapper de sa condition et de voir l'injustice du monde qui permet à d'autres ce qui lui ait refusé.

 

" Tu veux du parfait ? T’as qu’à lire les putains de bouquins de quelqu’un d’autre. (…) Je veux qu’en tournant la dernière page de mon bouquin tu ressentes un peu d’inquiétude, juste un peu, que tu te sentes un peu concerné, mon petit bonhomme, ma petite dame, que tu te dises que peut-être, ce n’est qu’un peut-être, mais que c’est peut-être toi qu’on va se faire. Peut-être qu’on est tout simplement en train d’attendre le bon moment pour te faire la peau. "

 

T-Bird adopte une narration décousue, faites d'anecdotes et de digressions. Il nous parle de sa situation présente, de sa volonté de s'offrir un vrai chez soi et de l'obligation de dormir dans son camion afin de gagner de quoi payer une caution pour un logement, et de fait, de cette odeur de merde qui lui colle à la peau.

Il évoque son enfance où dejà il ramassait des merdes de chien, tondait des pelouses pour quelques sous ; la violence qui fait feu dans son quartier opposant noirs, blancs, mexicains ; les soirées passées au bistrot où tous les déclassés se retrouvent mégotant sans fin sur les femmes qui les ont fait souffrir ; les femmes justement qui se marient pour une situation et divorcent bien vite emportant dignité et enfants dans leurs bagages ; la trompette et les boeufs de musique qui servent d'échappatoire, etc...

T-Bird nous raconte son Oakland donc, fait de désespoir, de misère humaine et sociale. Sa langue, à l'image de sa ville, est écorchée, vulgaire et parfois même provocatrice.

Le lecteur découvre à travers ses mots un quartier délaissé, abandonné aux ordures empilées aux portes de la ville et aux alcooliques qui noient leur chagrin amoureux.


C'est une véritable galerie de personnages haut en couleurs qui se dessine. Les femmes auront le plus souvent le mauvais rôle ici, soit putains, soit destructrices de foyer déjà bancals. Mais les hommes, trimant inutilement pour sauvegarder un semblant de dignité, trouvent dans une fraternité le soutien qui leur permet de survivre. Car ce roman aussi noir soit-il contient une chaleur insoupçonnée selon moi. T-Bird déteste sa ville, voudrait à tout prix s'en échapper mais quelque chose le retient malgré tout. Chacun se construit ses propres plans d'avenir, condamnés avant même d'être lancés. Et pourtant, dans ce cloaque, ces hommes sont là les uns pour les autres. Il y a l'ancien militaire, obsédé de techniques guerrières et d'espionnage qui offre à chacun mari éploré ses services pour punir l'ancienne amoureuse. Il y a Louis, dans son bar du Dick, qui offre réconfort à coup de verres gratuits. Il y a les copains qui ne savent pas rester impuissant face à la folie qui prend peu à peu l'un des leurs et tentent de le sauver. Il y a cette camaraderie inhérente à ceux qui connaissent les mêmes galères. On découvrira la formidable action collective qui prendra tout un quartier afin de punir celui qui croyait pouvoir arnaquer un T-Bird enfant.

 

Bienvenue-a-Oakland-02.jpgManifestation des indignés d'Oakland, octobre 2011


 

Bienvenue à Oakland est bien évidemment un roman noir, très noir même.

Le malheur, la désillusion sont le quotidien de ces hommes-là, victimes d'un rêve américain en capilotade, d'une société illusoire où l'ascenseur social n'est là que pour les plus riches finalement. Une société qui préfère ignorer la pauvreté des siens et se voile la face bien opportunément au mépris de ceux qui font le sale boulot, comme celui de ramasser leurs déchets. Des hommes qui doivent se contenter des miettes qu'on veut bien leur accorder donc.

Pourtant, il faut savoir déceler ces petites touches de lumière et même d'humour qui se glissent dans les interstices d'une narration tourmentée à l'image de son narrateur : cette amitié qui les tient les uns les autres, cette volonté commune de s'en sortir et de s'échapper.


Loin d'être un roman excessivement plombant, j'ai trouvé que Bienvenue à Oakland s'avérait finalement assez surprenant. Vulgairement, le lecteur bouffe de la merde mais pas que. A travers une crudité de langage faite d'insultes et de chienneries que certains trouveront excessive, on peut déceler une écriture très réaliste mais travaillée même si sans grande fioriture stylistique. T-Bird se pose malgré tout en écrivain.

 

" Ce dont on a besoin, c’est d’une littérature imparfaite, d’une littérature qui ne tente pas de donner de l’ordre au chaos de l’existence, mais qui, au lieu de cela, essaie de représenter ce chaos en se servant du chaos, une littérature qui hurle à l’anarchie, apporte de l’anarchie, qui encourage, nourrit et révèle la folie qu’est véritablement l’existence quand nos parents ne nous ont pas légué de compte épargne, quand on n’a pas d’assurance retraite, quand les jugements de divorce rétament le pauvre couillon qui n’avait pas de quoi se payer une bonne équipe d’avocats, une littérature qui dévoile la vie de ceux qui se font écrabouiller et détruire, ceux qui sont vraiment désespérés et, par conséquent, vraiment vivants, en harmonie avec le monde, les nerfs à vif et à deux doigts de péter un câble, comme ces transformateurs électriques sur lesquels on pisse dans la nuit noir d’Oakland. La prose de John Steinbeck n’est peut-être pas la plus élaborée du monde, mais au moins Steinbeck avait quelque chose d’important à dire. "

 

Il est loin d'être bête et fait même preuve d'une certaine culture musicale et littéraire.

 

" Personne ne savait que je lisais tous ces bouquins. C'est pas le genre de truc qui s'avoue, dans mon quartier. Si tu racontes qu'au lieu de mater le match des Raiders ou de picoler de la bière tu lis des bouquins, merde, tout le monde va penser que t'es une tarlouze, plus personne ne t'adressera plus jamais la parole et, ce qui est clair, c'est que plus personne ne te fera plus jamais confiance, pas avec cette tête remplie de gentilles petites conneries artistiques de coco, cette tête dans les nuages qui regarde tout le monde de haut. Si tu lis des bouquins, eh ben, tu le gardes pour toi. "

 

Mais finalement, malgré les galères, la misère, le désespoir dont son existence est faite, le narrateur reste d'une certaine manière libre : libre de hair le monde et de l'envoyer chier, libre de ne rien avoir à perdre, libre d'être heureux de son existence merdique mais aussi libre de vouloir être heureux comme eux. Une ambivalence étonnante mais qui souligne simplement le pouvoir de la vie.

 

 

" Autour de moi, tout n'est que misère, dénuement, rage et crasse. Tout, sauf mon âme. Bizarement, ça ne m'a pas touché, en tout cas pas assez pour remettre en question ma foi et mon optimisme inaltérables. Quelque part, je sais que l'humanité n'est pas aussi immonde que celle dont j'ai pu faire l'expérience. Je sais que le pus, la gangrène et les marécages ne sont pas la condition naturelle du cœur de l'homme, mais les fruits de la désillusion, que les déchirements cannibales sont la conséquence, non la cause, la réaction désespérée de cœurs dépouillés, dévorés, mais battant toujours. "

 

" Y a rien de plus beau que la volonté de vivre lorsqu’on baigne dans le désespoir absolu. L’espoir c’est pour les connards. Il n’y a que les grandes âmes pour comprendre la beauté du désespoir."

 

"(…) il y a peut-être au fond, en moi, un truc qui tourne vraiment rond, un truc pur et transcendantal fait pour voir et pour ressentir la douleur du monde, pour ingurgiter et digérer cette horreur brute, et la transformer en une chose belle et cristalline, comme si je pouvais réduire des ordures en sublimes pierres précieuses."

 

Ce roman est un petit coup de coeur, assurément ! Que dire de plus !

 

" Ce livre ne raconte pas comment j'ai surmonté l'adversité ou lutté contre mon environnement, parce que j'aime et que j'ai toujours aimé mon milieu – sauf la fois où j'ai fait le snob en épousant une fille des quartiers résidentiels. Ce livre parlent des gens qui travaillent pour gagner leur vie, les gens qui se salissent et ne seront jamais propres, […]. Pour toi, ce sont des personnages, pour moi c'est la famille, ceux avec qui j'ai grandi."

 

 

 

D'autres avis :

Nanne - Jérome - Catherine - Béné - La ruelle Bleue - L'accoudoir -

et Ys qui n'a pas aimé.  

 


 Titre : Bienvenue à Oakland

Auteur : Eric Miles Williamson

Editeur : Fayard

Parution : Août 2011

    414 pages 

Prix : 22€


 

1% littéraire 2011

 

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28 octobre 2011 5 28 /10 /octobre /2011 07:00

Comments rêvent les morts 01Thomas, qu'on appelle T., montre une passion pour l'argent depuis son plus jeune âge. Il stocke les pièces de monnaie dans sa bouche et coince les billets sous son matelas, il recompte inlassablement son petit pécule et utilise de nombreuses ruses auprès de sa famille et de ses amis pour leur extorquer de l'argent.

Devenu adulte, il devient un agent immobilier qui joue avec l'argent des autres et spécule sur tout type de terrain et de demeures.

Jusqu'au jour où l'accumulation de petits couacs dans sa vie finit par le désorienter.

 

T. est plutôt un personnage antipathique qui semble éprouver peu d'émotion et dont la vie parait bien lisse sous la froide caresse de l'argent. C'est la mort d'un coyote qu'il a renversé en voiture qui le bouleverse tout d'abord. Ensuite, c'est le départ de son père, parti vivre une nouvelle vie en larguant tout, femme comprise, lui laissant la charge de gérer les pots cassés auprès de sa mère.

 

  "Pendant toutes ces années, je ne me suis jamais réveillé une seule fois. Rien n'était réel pour moi. Tu sais qui tu voyais pendant toute ton enfance et ton adolescence? Un fantôme. Je n'étais pas vraiment là. Je ne sais pas comment te dire... c'est comme si j'était entré par erreur dans la vie d'une autre type."

 

Des émotions passagères mais la vie de T. se poursuit sans remise en question. Il faudra attendre le drame sentimental qui lui tombe dessus avec la disparition de Beth, la femme merveilleuse qu'il avait rencontré pour que notre homme commence à voir sa vie sous un autre oeil. Il se passionne alors pour les animaux en voie de disparition et arpente les zoos en toute illégalité, met à l'écart ses anciennes relations d'affaire qui bientôt le dégoûte, s'attache à la jeune Casey, une invalide qui lui donne l'impression d'exister. 

 

" Il avait besoin de Casey, pensa-t-il, parce qu’il aimait sa compagnie, parce que sa présence le rendait plus complet, mais il ne pouvait nier qu’au départ il avait également pensé lui faire une faveur. Voilà où s’était située son arrogance. C’était une erreur de penser que parce qu’une personne était déchue, blessée, malade ou  imparfaitement complète, vous lui donniez davantage par votre présence qu’elle ne pouvait elle-même vous offrir. C’était une triste erreur."

 

Avant que T. ne plonge bientôt dans un univers sauvage où ses valeurs ne comptent pas et où il se sent vivant et où la menace ne fait qu'accentuer ce sentiment nouveau. Un sentiment qui n'est à nouveau qu'un leurre sur sa condition d'être humain.

 

Je dois dire que Comment rêvent les morts m'a un peu déstabilisé. J'ai eu beaucoup de mal à rentrer dans l'histoire, je ne voyais pas où l'auteur, que je lisais pour la première fois, voulait en venir. Il a fallu quelques échanges avec une autre lectrice pour éclairer quelque peu cette lecture.

T. est un personnage totalement froid. Il semble ne ressentir aucune émotion. Son couple avec Beth est à peine décrit et il ne nous est fait part d'aucune sensation particulière à son égard.

Bref, impossible d'avoir une quelconque empathie pour cet homme. Et de fait, c'est  l'ennui qui fut mon compagnon pour cette lecture... L'histoire de T. se déroule lentement et même les a-coups majeurs de sa vie ne donnent pas une véritable dynamique au roman. Seul le final, à l'image de son personnage principal, décolle et offre une bouffée d'air, de vie et de liberté.

Après coup, je me rend compte que le roman est une véritable critique de la société capitaliste qui semble trouver réconfort et émotion dans la possession et l'argent.

T. est finalement un être vide qui tente de se sentir exister en se passionnant pour des causes, presque perdues d'avance, sans toutefois sortir de son immobilisme primaire.

Hélas, pour moi, la narration et T. sont un peu à l'image de ce que l'auteur dénonce : un immobilisme et un désengagement donnant un roman assez fermé qui, pour ma part, ne se livre pas facilement.

Si je comprends désormais tout le sel de cette histoire, je ne peux pourtant pas me départir de ce sentiment d'ennui et de platitude qui colle à cette lecture qui me laisse perplexe...

Mes attentes sur un réveil quant à la défense animale et écologique ont peut-être aussi joués. La quatrième de couverture m'a peut-être trompé car le propos n'est pas là.

Peut-être, saurez-vous, à l'instar d'autres lecteurs, trouver plaisir à cette lecture  et rédiger un avis autrement plus constructif qu celui-là... !


 

D'autres avis :

Lili que je remercie pour nos échanges - Keisha - Clara -

 


Titre : Comment rêvent les morts

Auteur : Lydia millet

Editeur : Cherche-midi, Lot 49

Parution : Octobre 2011

    289 pages 

Prix : 17,50€


 

Merci à Hérisson pour ce partenariat !

 

1% littéraire 2011

 

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11 octobre 2011 2 11 /10 /octobre /2011 07:00

cet-instant-la-01.jpg

Thomas Nesbitt est un écrivain d'une cinquantaine d'années. Spécialisé dans les récits de voyage, il a passé son temps sur les routes pour mieux fuir son foyer et toute forme d'engagement, malgré un mariage et une fille bientôt adulte. Une fuite perpétuelle qui semble prendre source dans son enfance mais aussi dans un passé qu'il peine à dévoiler à sa famille. Sa femme, bien consciente qu'il ne l'a, en quelque sorte, jamais aimé demande le divorce. Il s'installe peu après dans un cottage isolé au bord d'un lac, acheté sur un coup de tête et où il reçoit peu après un courrier d'un certain johannes Dussman, qui semble le troubler profondément.Un flash-back nous emmène alors dans le passé de Thomas, 25 ans avant, à l'occasion d'un voyage à Berlin. Où il rencontra une certaine Petra qui changea sa vie...

Parti à Berlin pour écrire et fuir une relation amoureuse qui devenait trop sérieuse, Thomas va pourtant rencontrer la femme de sa vie. Travaillant pour une radio de propagande américaine à Berlin ouest, il va y faire la connaissance de Petra Dussman, une réfugiée de l'Est. Tout d'abord mystérieuse sur son passé, la jeune femme va peu à peu dévoiler les souffrances morales et physiques qu'elle a dû subir. Profondément amoureux, il est prêt à tout pour elle jusqu'à ce qu'une autre vérité éclate sous le signe de la trahison et du mensonge. Thomas fait alors un choix qui lui pèsera toute sa vie et ce, d'autant plus lorsqu'il lira les manuscrits qui lui ont été envoyés par la poste.

  

Vous l'aurez compris, la majeure partie de ce roman est constitué par le flash-back qui nous mène dans un Berlin coupé en deux par le fameux mur et agité par les suspicions d'espionnage entre les deux camps. 

La découverte de Berlin est plutôt plaisante. Thomas observe beaucoup la ville pour ses notes d'écriture et un portrait historique et réaliste nous est offert de la ville et de son ambiance. On découvre les mauvais quartiers, ses troquets tenus par des turcs, le mur qui écrase la ville. On accompagnera aussi le héros du côté de Berlin-Est où la misère et la tristesse attendues sont au rendez-vous.

On y découvre des personnages secondaires intéressants comme le colocataire de Thomas, peintre homosexuel et drogué qui aime jouer de la provocation dans des réparties réjouissantes ou comme son ami turc qui doit cacher à sa famille et à sa femme ses préférences sexuelles. Les marginaux ne sont pas les mieux accueillis dans le Berlin des années 80.

 

cet-instant-la-02.jpg

 Leon Herschtritt - Noël 1961

  

  

Et puis, il y a l'histoire d'amour... Et là, autant vous dire que ça passe beaucoup moins bien...

Thomas et Petra tombent amoureux dès le premier regard. Ils couchent ensemble le premier soir. Le lendemain, ils se disent je t'aime et décident d'habiter ensemble. Avant bientôt de parler mariage et enfant...

Cette histoire ne m'a semblé, bien évidemment, d'aucune crédibilité. Je viens bien croire au coup de foudre mais ici tout va bien trop vite. Sans compter, le traitement romantico-mièvre que l'auteur ne nous épargnera pas et qu'on retrouvera en abondance dans des dialogues dégoulinants de guimauve.

Quant au sujet, et bien, en gros, il va être question de trahison et de regret. Malheureusement, la trahison était un peu le sujet du formidable "Mon traître" lu juste avant et.... comment dire...  ici, on peut dire que c'est traité sans aucune envergure, sans profondeur aucune. On ne rentrera pas plus que ça dans les détails des sentiments des personnages. On sait qu'ils souffrent et c'est amplement suffisant pour l'auteur qui tente de nous construire une histoire d'amour éternel où le tragique (à travers une vaste affaire d'espionnage) vient pimenter un parcours par trop linéaire.

  

Bref, Douglas Kennedy reprend comme toujours les mêmes ficelles : l'inévitable histoire d'amour, un scénario et une écriture sans surprises et une récit à la psychologie limitée. Dommage car il y avait sans conteste des choses intéressantes à sauver.

Alors vous pouvez éventuellement passer un bon moment à le lire sans vous poser trop de questions (quoique tout ça est tout de même un peu longuet...) comme vous pouvez allègrement vous dispenser de cette lecture totalement inutile...

Entre le premier roman de l'auteur, seul que j'avais lu, et ce titre-là, je ne vois pas franchement d'évolution... Un peu paradoxal pour un auteur à la dizaine de romans. Je me dispenserais donc à l'avenir de piocher dans cet entre-deux ! (excepté pour Cul de sac, le série noire qui semble être au-dessus du lot).

Piochez donc dans votre vieille PAL, il y aura forcément mieux !

 

Sinon, ceux qui ont du temps à perdre peuvent aller se renseigner sur la page Facebook de l'auteur.

 

D'autres avis :

Mango - Malou -

 

 

Titre : Cet instant-là

Auteur : Douglas Kennedy

Editeur : Belfond

Parution : Octobre 2011

  491 pages 

Prix : 22,50€  


  1% littéraire 2011

 

 

  Titre : Cet instant-là

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6 octobre 2011 4 06 /10 /octobre /2011 07:00

Desolations-01.jpg

Irène et Gary, mariés depuis 30 ans, vivent en Alaska, au bord du lac Skilak. Un choix de vie qui s'est fait il y a 10 ans, pour se rapprocher d'un idéal de communion avec la nature. Pourtant, c'est une autre vie que le couple s'est construit. Gary s'est perdu dans bon nombre de projets innaboutis. Irène lui a donné 2 enfants, désormais adultes : Rhoda et Mark. Aujourd'hui, à l'heure de la retraite, Gary est pourtant décidé à mener la vie qu'il a toujours rêvé. Ils vont désormais vivre dans une cabane en bois sur une île isolée, au coeur de la nature. Il entraîne dès lors sa femme dans la construction de leur future habitation et s'acharne sur ce projet quelque peu utopique, de manière un peu égoïste et sans être vraiment préparé. Irène, dont le mal-être ne cesse de grandir, voit surtout dans cette entreprise une tentative de Gary de se séparer d'elle et se prête bien malgré elle au projet pour sauver son mariage.

 

Après le formidable Sukkwan Island, voici le génial Désolations ! Si ce dernier prend place lui aussi dans les paysages tourmentés de l'Alaska, David Vann fait preuve de renouvellement tout en y replaçant avec succès ses propres obsessions.

On y retrouve une famille dont l'auteur prend plaisir à décortiquer les sentiments, les peurs, les espoirs, la folie même.

Gary construit sa cabane envers et contre tout. Malgré le temps. Malgré sa femme. Malgré les problèmes qui ne manquent pas de se présenter faute de préparation suffisante. Son obstination est peu compréhensible, il donne l'impression de fuir quelque chose, de se prouver quelque chose, qu'il est capable d'aller au bout de sa volonté. Seul compte ce but qu'il s'est fixé, alternative à tous ses autres projets précédents qui n'aboutirent jamais.

Irène est hantée par le suicide de sa mère, dont elle a découvert le corps pendu lorsqu'elle était enfant. Elle semble être une femme résignée qui s'accroche désespérément à son mari, qui ne le contredit pas par peur de le perdre. Depuis qu'elle s'est lancé dans la construction de la cabane, des migraines atroces viennent l'assaillir et aucun médicament ne semble faire effet.

A leurs côtés, il y a pourtant leur fille Rhoda qui leur rend visite régulièrement, qui s'inquiète de leur absence, qui voit la détérioration de leur relation. Rhoda vit avec Jim, un dentiste fortuné qui lui offre tout le confort nécessaire. Mais sa relation avec lui ne la satisfait pas complètement. Jim semble de pas s'impliquer totalement. Le mariage dont il parle reste un projet lointain. Son frère Mark vit avec Karen et continue de mener une vie insouciante : kart avec les copains, fumette entre amis. Le sort de sa famille lui importe peu et il reste en retrait de tout ce qui la concerne.

Dès le début, la tension est palpable. Le couple Gary / Irène communique avec violence, s'envoie des piques régulières et réagit avec susceptibilité. Même le silence entre eux semble synonyme de reproches. Les maux de tête d'Irène ne font qu'accentuer la pression et Gary semble y prêter peu d'attention. Alors que Rhoda s'interroge de plus en plus sur sa vie avec Jim, ce dernier se laisse séduire par Monique, une amie de Mark venue passer quelques jours chez eux en compagnie de son petit ami Carl. La jeune femme est peu farouche et prête à utiliser ses charmes pour obtenir quelques faveurs sans débourser un centime.

Vous l'aurez compris, cette famille, ces différents couples sont tous au bord de la rupture, de la faille. La tension que l'on ressent dès l'entrée en matière du roman ne fera que s'accentuer. Et le drame ne peut être bien loin avec David Vann.

 

Desolations-03.jpgSkilak Lake

 

David Vann nous offre ici un roman encore plus abouti que son précédent. C'est à un véritable drame psychologique auquel nous allons assister. Les personnages sont tous extrêmement détaillés, leur propre individualité, leur propre peur ou espoir. Leur propre voix aussi : l'auteur utilise 7 narrateurs différents et le procédé nous permet de pénétrer leur inconscient encore plus profondément. Pourtant le trait commun de tous, c'est une certaine peur de la solitude. Gary semble fuir les hommes, Irène craint l'abandon de son mari à l'image de celui de sa mère, Rhoda semble se satisfaire d'une relation bancale pour éviter un célibat peu enviable, Mark s'enferme dans son insouciance pour mieux se protéger des autres, Carl très amoureux refuse de voir la trahison de Monique. La solitude semble être la situation ultime à éviter à tout prix. Quitte à faire des compromissions, à trahir ses proches ou même trahir ses propres aspirations.

Le mariage ou le couple est vu, non pas comme une alliance amoureuse, mais plutôt comme un rempart à la solitude. Et c'est un constat très amer qui ressort du mariage à l'issu du roman.

 

" On peut choisir ceux avec qui l'on va passer sa vie, mais on ne peut pas choisir ce qu'ils deviendront. "


Désolations est un livre véritablement désenchanté qui s'attache à montrer le côté sombre en chacun de nous.

La terre d'Alaska, synonyme de pureté originelle, de retour à un état de nature simple et harmonieux, s'avère ici le miroir réfléchissant de leur propre lâcheté. Vu sous un jour menaçant, elle n'est pas l'antre hospitalière que l'on veut bien nous faire croire. Elle ne fait qu'accentuer ou souligner nos propres sentiments, bons ou mauvais.

Il sera aussi ici question d'héritage et de transmission. POur Irène, l'histoire se répète inlassablement, de générations en générations. Elle tente de mettre en garde sa fille contre l'illusion confortable du mariage, elle veut briser le cycle des déceptions. Mais pour Rhoda, ce n'est que l'expression désespérée d'une femme malheureuse dans son propre couple.

 

Désolations se révèle véritablement un roman puissant et déchirant qui vous emmène au coeur de l'âme humaine et vous retourne par un final extrêmement fort qui, s'il ne m'a pas étonné, m'a complètement pris au dépourvu.On y retrouve les thèmes de l'auteur : la famille, le manque de communication entre ses membres, la solitude, la folie, le suicide et la mort. Des obsessions que David Vann réussit à transcender ici avec brio pour donner um roman universel sur la désillusion des hommes.


Un roman indispensable !

 

D'autres avis :

InColdBlog - Emeraude - Lili Galipette - Petit Sachem - Karine - L'accoudoir - Stephie -

 

Liens :

Premières pages du roman à lire

Rencontre d'1h à la librairie Mollat écouter

 


Rencontre avec David Vann :


Il s'avère que l'auteur est venu il y a un peu moins d'un mois dans ma ville. Je n'avais pas encore lu Désolations mais il était évident que je ne pouvais rater la rencontre organisée par la librairie. Le traducteur de David était Oliver Gallmeister lui-même et ce fût également un plaisir de découvrir cet éditeur talentueux.

J'ai pris quelques notes mais elles ne s'avèrent pas totalement complètes... Aussi, vais-je faire de mon mieux pour vous rapporter les quelques propos tenus lors de ce rendez-vous avec l'auteur.

 

Desolations 02

Tout d'abord, il faut savoir que David Vann pratique une sorte d'écriture inconsciente. Il s'astreint tous les matins à des séances d'écriture, tournée de dédicaces ou pas, où il laisse son insonscient parler. Ainsi, le roman se fait en quelque sorte devant ses yeux. Il ignorait par exemple que le fameux coup de théâtre de Sukkwan Island aurait lieu, tout comme il ignorait que Désolations parlerait de mariage. Il ne savait pas non plus que ce roman aurait 7 points de vue différents : une technique qui lui a d'ailleurs "permis de respirer" tant le roman est oppressant.

Ce roman est né il y a 14 ans de cela mais ce n'est qu'il y a 2 ans qu'il a eu une vision d'Irène lors d'un séjour en Alaska.

David reconnaît qu'il y a beaucoup de lui dans ce roman, même s'il ne s'en rend compte que par la suite, avec des analyses ou questions de journalistes par exemple ! Il pensait que le mariage lui était étranger mais un journaliste aurait réussi à lui faire dire le contraire.

  " J'ai besoin de beaucoup d'années pour prendre conscience de ce qu'il y a dans mes livres. "

Désolations est donc un livre sur le mariage et la transmission. Pour l'auteur, il y a un lien entre les échecs des mariages et les relations mère/fille. On découvre ici l'importance de ce qu'une mère lègue à sa fille et inversement.

Irène tente d'effacer le suicide de sa mère (NDLR : elle a d'ailleurs occulté la plupart de ses souvenirs maternels précédant le suicide) en tentant de donner des fondations solides à sa propre famille. Elle est désemparée devant son échec et n'arrive pas à rassembler les morceaux de sa vie pour en faire une histoire cohérente.

Gary est un homme lâche, qui n'a pas le courage d'affronter la réalité. Il  apeur du noir, de ne pas tenir seul la nuit (comme l'auteur ! Rires !). Son vrai crime est de ne pas avoir vraiment aimé Irène.

Rhoda aurait été inspirée par sa propre soeur qui se marie par ailleurs ce mois-ci ^^

Pour David, Rhoda est le seul personnage positif du roman. Son couple est le plus important dans l'histoire. Et pourtant, lorsqu'elle est trompé par Jim, c'est ce dernier qui est humilié et non pas elle.

Le manque de communication des personnages entre eux reflète celle de la propre famille de l'auteur (rires !)

David concède que lorsque les gens sont sous pression, on découvre qui ils sont réellement.

C'est pourquoi dans la vraie vie, il faut se mentir ! (rires !)

La présence importante de la nature est d'ailleurs un élément à part entière.

Avec l'héritage des poètes romantiques, la communion avec la nature est une façon de retrouver sa bonté naturelle. POur David, c'est une idée fausse. La nature ne fait que renvoyer aux personnages leur propre image. C'est pourquoi, l'auteur consacre beaucoup d'attention aux décors et au paysage : il est comme une ardoise vide qui va se remplir avec les sentiments des personnages.

David souligne malgré tout que l'Alaska est un endroit merveilleux ! Mais que beaucoup de gens vont s'y installer en dernier recours car ils n'ont rien d'autres dans la vie.

Pour lui, il s'agit également du mythe fondateur des Etats-Unis : le retour à la nature entrainerait la bonté et expliquerait le fait que les américains continuent à faire les pires choses dans le monde. Vann souligne d'ailleurs que de nombreux survivalistes se cachent des autorités fédérales, en Alaska. De nombreuses personnes font aussi pousser de l'herbe car elle est très forte là-bas ! Au final, les personnes normales sont très rares ! (rires !) De toute façon, personne en France ne pourra venir le contredire (rires !).

Désolations se révèle aussi un roman sur la fuite. Gary, par exemple, fuit qui il est réellement.

C'est un livre qui parle d'élan : on pense qu'on va quelque part et finalement on se rend compte que l'on va vers autre chose.

Pour David, "Il n'y a pas de destin, il n'y a que la peur que l'on en a. "

L'auteur reconnaît que "la plupart des livres que j'aime parle de l'enfer, comme Méridien de sang. "

Pour lui, l'enfer est une invention littéraire et non religieuse. Il s'agit d'un paysage imaginaire où l'on met tout ce que l'on n'aime pas. L'errance des personnages dans un enfer est finalement une manière de les tester eux, ainsi que les lecteurs.

 

Cette retranscription est bien évidemment parcellaire mais j'espère qu'elle vous aura un tant soit peu intéressée et servie à comprendre le roman et l'auteur !

David Vann s'est révélé un homme simple et accessible. Loin de l'image d'auteur tourmenté, il affiche une douceur et un sourire constant qu'on ne peut imaginer en lisant ses textes. Je ne peux que vous encourager à aller à sa rencontre si vous avez la chance de l'avoir dans le coin !



 


Titre : Désolations

Auteur : David Vann

Editeur : Gallmeister, Nature writing

Parution : Août 2011

  297 pages 

Prix : 23€


 

1% littéraire 2011

 

challenge nature writing

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2 septembre 2011 5 02 /09 /septembre /2011 07:00

Ldernier stade de la soif 01es Editions Monsieur Toussaint Louverture continuent leur travail d'édition hors-norme en éditant pour la première fois en France, 43 ans après sa parution américaine, le texte de Fréderick Exley, A fan's notes.

 

Le dernier stade de la soif est un étonnant texte d'inspiration autobiographique qui tend vers le roman. Son auteur, alcoolique patenté et inadapté social notoire qui passe de fréquents séjours en hôpitaux psychiatriques, nous narre ses aventures pour le moins aberrantes. Voguant entre bars miteux où il laisse s'épancher sa passion pour le football et un certain joueur nommé Frank Gifford, jobs improbables où il ne fait rien, squats et échouages divers chez des amis, quotidien vissé au canapé maternel, Exley a tout du perdant qui ne trouve pas sa place dans l'Amérique conquérante du XXème siècle.

 

Sans suivre la chronologie de sa vie, l'auteur retrace les périodes de sa vie : sa jeunesse auprès d'un père admiré, grand footballeur adulé ; ses années d'étudiant où, rêvant à un avenir littéraire grandiose, il passe plus de temps à deviser avec les amis ; ses premiers emplois décrochés par hasard ou par culot en construisant un faux CV. Puis il sera question de sa douce folie, de son goût immodéré pour l'alcool et les femmes ; de la déroute de son couple avec Patience qui lui donnera 2 jumeaux dont il ne sait que faire ; de ses différents séjours en hôpitaux psychiatriques enfin où il croit trouver l'apaisement sans faire le point sur lui-même.

 

Loin d'être une autofiction pourtant, Le dernier stade de la soif est le parcours romancé d'un homme qui se voit tomber dans tout ce que l'Amérique exècre : une déchéance lucide que son protagoniste lui-même suit et décrit avec ironie. Texte très écrit, emprunt de nombreuses références littéraires et culturelles,nous sommes devant une sorte de confession, de testament littéraire d'un homme qui transforma sa vie chaotique en oeuvre.

 

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Fils d'un père fort admiré, Exley semble se sentir inférieur à ce père disparu. Il reporte sa personne dans la figure d'un joueur de football qui va désormais représenter tout ce qu'il n'est pas.

 

"Là où je ne pouvais, avec des mots, donner forme à mes fantasmes, Gifford, par sa maitrise exceptionnelle, ses mains en or et ses feintes imprévisibles, réalisait les siens. C'éait même plus que ça : je débordais d'un tel enthousiasme, mon désir fusionnait si puissamment avec son envie d'échapper au triste anonymat de l'existence, qu'au bout d'un moment il devint mon alter ego, cette part en moi qui avait sa place dans le monde de la compétition masculine ; "


"C'est cela que Gifford me fit comprendre. Avec ce sourire - ce sourire qu'il avait sans doute déjà oublié, et quelle que soit sa valeur - , il me signifia, malgré l'engourdissement de ma confusion, qu'il est lâche de faire porter aux autres le fardeau de sa propre douleur."

 

Loser, écrivain raté qui fait semblant de noircir des pages, alcoolique qui réclame à tout le monde de l'argent pour se saouler et oublier ce monde qui lui déplaît tant, Exley est une figure pathétique et désabusé qui provoque la pitié.

 

"Je voyais le monde avec une telle acuité que cela en devenait insoutenable, j'étais maladivement clairvoyant, avec des aperçus de l'univers dont je me détournais immédiatement."

 

Un homme détestable parfois par son parasitisme, sa vulgarité, son laissez-aller, sa violence raciste et homophobe même. Exley se décrit sans concessions, sans pudeur avec un égoïsme qu'il abandonne parfois pour reconnaître qu'il en fait baver aux siens.

 

Le dernier stade de la soif est finalement le livre de l'échec d'une vie, un échec qui pourtant se transforme bien malgré lui en succès littéraire. N'est-il pas le plus beau pied de nez que l'auteur, mort en 1992 de ses affres passées, pouvait faire à l'Amérique ?


"Franchement, à quoi servent les rêves s’ils deviennent réalité ?" 

 

dernier-stade-de-la-soif-03.jpgContrairement aux apparences, l'ouvrage est loin d'être plombant dans sa narration. L'auteur y introduit beaucoup d'humour, de par le regard un peu cynique qu'il porte sur sa vie et sur ce qui l'entoure de manière générale. Il est bourré de personnages tous plus improbables les uns que les autres et transforme une vie de déchéance en épopée coloré.

Je conseille néanmoins de ne pas ingurgiter en une fois la somme de cette vie qui, à la longue, finit par devenir un peu lourde.

 

Bref, voilà un ouvrage hors-norme, délicat à conseiller, par son étrangeté et son parti-pris extrême que les curieux, les amateurs de bukowski et autres amateur de curiosités littéraires devraient découvrir !

 

il est à noter une fois de plus, un remarquable travail d'édition sur l'objet livre lui même avec une magnifique couverture cartonnée(  "en carton gris de 400 grammes imprimé en offset, puis durement foulé pour lui donner la vie" ) enrichie d'une illustration très graphique reprenant le visage de l'auteur fabriqué avec le nom de son joueur de football préféré, Gifford.

 

Extraits :

 

" Dans un pays où le mouvement est la plus grande des vertus, où le claquement rapide des talons sur le bitume est érigé en sainte valeur, rester allongé pendant six mois relève du geste grandiose, rebelle et édifiant. "

 

" Je ne suis pas mêlé à tout cela, ma vie n'est que détachement, ironie et frivolité, ce qui n'est peut-être pas une posture particulièrement noble, mais elle a au moins le mérite de ne pas prétendre savoir ce qui est bien pour autrui ".

 

(parlant des autres pensionnaires de l'hôpital)

" Ces gens étaient grotesques. A présent, j'étais persuadé de comprendre : ils n'avaient pas leur place dans l'Amérique d'aujourd'hui. Cette Amérique était ivre de beauté physique. L'Amérique était au régime. L'Amérique faisait du sport. L'Amérique, en effet, élevait au rang de religion son culte du teint frais, des jambes droites, du regard clair et dégagé, et d'une séduction éclatante de santé - un culte féroce et strident. (...) Nous rendant la monnaie de leur pièce, ils jouissaient de pouvoir nous rendre hideux à notre tour. Si nous ne faisions pas preuve de l'humanité de base telle que l'Amérique la prônait (...), alors ils nous transfigureraient par la laideur du désespoir, et une fois atteint ce piteux niveau, nous nous rejoindrions et nous unirions à tout jamais. "


D'autres avis :

L'accoudoir -

 


Titre : Le dernier stade de la soif

Auteur : Frederick Exley

Editeur : Monsieur Toussaint Louverture

Parution : Février 2011

  448 pages 

Prix : 23,50€


 

Merci à Bibliofolie et aux éditions Monsieur Toussaint Louverture pour cette découverte !


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