4 février 2010
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Zhuang est une jeune chinoise de 23 ans envoyée en Angleterre par ses parents qui espèrent bien la voir reprendre leur commerce de chaussures. Arrivée à Londres, elle est complètement perdue et déstabilisée par cet univers qui lui est profondément étranger. Logeant dans une auberge de jeunesse, elle passe ses journées à errer et à fréquenter les cinémas. Jusqu'au jour où elle rencontre un homme, bien plus vieux qu'elle avec qui elle va entamer une relation amoureuse. Suite à un quiproquo, elle part très rapidemment s'installer chez lui et c'est désormais auprès de cet homme singulier, un végétarien quarantenaire, artiste désabusé qui a un passif homosexuel qu'elle va désormais vivre et découvir une nouvelle culture. S'appuyant sur son petit dictionnaire chinois-anglais, Zhuang cherche ses mots et sa place. Mais Zhuang saura-t'elle la trouver dans un occident qu'elle le comprend pas et auprès d'un homme dont les valeurs sont différentes ?
Dans ce roman, le lecteur va suivre le parcours d'une expatriée et découvrir en même temps qu'elle les difficultés d'intégration que cela présente mais aussi la barrière de la langue.
En effet, Zhuang est la narratrice et le niveau de langage utilisé pour son récit est celui d'une étrangère qui essaie de parler correctement. Son parler est bourré de fautes de syntaxe, de lexique, d'orthographe et ce procédé est particulièrement réussi. La traductrice a du effectuer un travail énorme pour rendre en français ces erreurs présentes dans le texte anglais d'origine. Des nombreuses erreurs de Zhuang ressortent de jolis passages poétiques ou humoristiques qui dénotent de sa sensibilité.
" Je lis le panneau devant les files : alien et non alien.
Je suis alien , comme dans le film Alien à Hollywood. J'habite l'autre planète, j'ai l'air spatial et la langue étrange. "
Prenant la forme d'un journal, le roman déroule les chapitres selon la succession des mois et s'adjoint à chaque fois la définition d'un mot anglais que la jeune fille apprend. Chaque mot est en relation avec le thème du chapitre et l'effet en est très heureux.
Les différences culturelles sont nombreuses et on se plait à découvrir d'un autre oeil notre monde occidental. Zhuang s'étonne de l'importance donné au temps qu'il fait et aux trop nombreuses nuances par lesquelles on peut le décrire, de la plus grande importance du sujet sur l'action elle-même.
" La personne est le sujet dominateur dans la phrase anglaise. Alors, est-ce que la culture occidentale respecte les individus plus ? (...) Peut-être les chinois sont honteux de mettre leur nom le premier parce que ce n'est pas une attitude modeste. "
Elle pointe du doigt notre système et nous pousse à nous interroger sur tel ou tel fait qui font tellement partis de notre quotidien que nous ne nous y arrêtons plus.
Petit à petit, nous verrons ainsi la langue de la narratrice évoluer au fil des mois. Sa progression se fait de façon subtile et totalement réaliste et on pourrait presque supposer que ce récit s'appuie sur une expérience vécue.
A côté de sa découverte linguistique, le roman est aussi le récit d'une histoire d'amour. Ses relations avec cet homme (qui ne sera jamais nommé il me semble) sont décrites avec détails. Il est sa bouée de sauvetage, celui qui lui donne l'impression d'être aimée et d'exister dans un pays où elle se sent transparente au yeux des autres. Avec lui, elle découvrira l'amour charnel et ne s'embarassera pas de ses amours masculines passés.
Pourtant, si on ressent l'amour de la jeune fille pour lui, le sien est quelque peu en demi-teinte. On ne resent pas une affection débordante de la part de cet homme qui préfère garder une part d'intimité et de mystère vis à vis de Zhuang. Il préfère une soirée entre amis à des retrouvailles intimes après un long voyage de Zhuang. Il semble toujours froid à son égard et s'emporte facilement devant l'empressement de ses questions lexicales. Il refuse de s'engager et de parler d'avenir. On finit par se demander ce qu'elle lui trouve et être agacée par cet amour qui semble non partagé. Je dois dire que j'ai été moins convaincue par cette partie-ci par le portrait si particulier de cet homme.
La description des sentiments de Zhuang reste cependant extrêmement forte et m'a beaucoup touchée.
" Je pense que la solitude dans ce pays est une chose très solide, très lourde. Elle est touchable et atteignable, facilement.
La solitude vient me voir pendant certaines heures chaque jour, comme un visiteur. Comme un ami qu’on n’attend pas, qu’on n’a jamais envie de voir spécialement, mais quand même, il vous rend visite et vous aime, à sa manière. Quand le soleil quitte le ciel, quand l’énorme obscurité avale la dernière bande rouge à l’horizon, à ce moment, je vois la silhouette de sa solitude devant moi, et elle entoure mon corps, ma nuit, mon rêve. "
"Aimer, ce mot d'ici, comme les autres mots d'ici, a un temps. "J'aimais" ou "j'aimerais" ou "j'ai aimé". Tout ces temps signifient qu'aimer est limité dans le temps. Pas infini. Il existe seulement dans une période déterminée. En chinois, aimer n'a pas de temps. Pas de passé, pas de futur. Aimer en chinois signifie un état, une situation, une circonstance. L'amour est l'existence qui englobe le passé et l'avenir.
Si notre amour existait dans le temps chinois, alors il durera toujours. Il sera infini."
A travers ce couple si différent, ce sont 2 conceptions différentes de la vie qui s'opposent. Réflexion sur les difficultés de compréhension entre les peuples, ce roman saura vous toucher par sa langue inventive et son regard décalé sur les choses du quotidien.
Une très belle découverte que je dois à Liliba qui a fait voyager ce joli roman jusqu'à moi !
Les avis de Karine, Mango, Clarabel, Yueyin, Kathel, Cocola, ...
Note : 4 / 5
Editions Buchet-Chastel - 21€