1945. Le Japon est en pleine guerre mondiale. Motivé par un désir de victoire et une fierté nationale, le gouvernement japonais et son empereur n'hésitent pas à envoyer à la mort des dizaines de jeunes hommes qui, par devoir de loyauté envers leur pays, acceptent avec fierté de participer aux combats. Parmi eux, quelques uns seront choisis pour se lancer dans des attaques suicides, destinés à faire le plus de dégâts possibles chez les américains.
Kosaburo est de ceux-là, ainsi que son ami d'enfance, Akira. Alors que Kosaburo, préparé à mourir, accepte cette mission avec ferveur, Akira, au contraire, s'enfuit dans la montagne, apportant ainsi l'opprobe et la honte sur sa famille. Pour éviter le déshonneur, c'est Mitsuko, la soeur du déserteur dont est amoureux Kosaburo, qui va prendre secrètement sa place.
Contrairement à toute attente, c'est une auteur belge qui nous livre ce roman japonisant nous conduisant tout droit dans l'enfer de la guerre.
L'empire du soleil levant est la cible des attaques américaines depuis longtemps et le Japon peine à rester maître des combats. Le pays est affaibli et la guerre est même en passe de se terminer. Pourtant, l'empereur japonais refuse toujours de capituler. Les journaux, la radio continent de faire prospérer de vaines paroles d'espoir et de victoires auprès de la population et d'exciter la fierté nationale, condition essentielle de tout japonais.
Départ de kamikazes japonais salués par des étudiantes
Nous allons donc suivre Kosaburo et Mitsuko dans leur préparation de kamikazes. Kosaburo appréhende son rôle de manière tout à fait sereine. La retraite solitaire qu'il s'est imposé précédemment l'a aidé à affronter ce sacrifice ultime qui ne lui fait pas peur. Mitsuko, de son côté,voit son engagement comme un acte d'honneur envers sa famille. La désertion de son frère est vécue comme une véritable trahison envers son pays et sa fuite rejaillit comme une honte intolérable sur tous les membres de sa famille.
Tous deux suivent donc un apprentissage étudié et deviennent des pilotes chevronnés. Mitsuko doit cacher son sexe mais aussi ses sentiments amoureux envers Kosaburo, qui doivent passer derrière sa loyauté envers le Japon. Jusqu'au jour où l'un d'eux est désigné pour partir en mission suicide.
On reconnaît dans ce roman une réelle imprégnation de la culture japonaise chez l'auteur. A travers cette histoire, Nicole Roland s'interroge sur les curieuses raisons qui ont poussées des jeunes gens à tout accepter pour sauver leur pays, avant leur propre vie. Héritier du code samouraï d'autrefois, la question d'honneur reste très forte dans la culture japonaise d'hier et d'aujourd'hui. Ces sacrifices humains volontaires paraissent d'un dérisoire absolu mais participaient d'une tradition qui mettait l'empereur du Japon au niveau des dieux et ses décisions, comme des ordres auxquels il n'était pas envisageable de désobéir.
Loin de l'image de jeunes fanatiques, les personnages semblent ici à la fois transcendés par ce don de soi, cet acte héroïque qui leur parait naturel et indispensable, et à la fois, pleins de doutes qu'ils étouffent en silence. La peur est palpable mais ils ne craignent pas la mort. Ils acceptent sans se rebiffer l'ordre de mourir mais derrière un enthousiasme et une fierté fortement exprimés, se cache aussi une certaine résignation et un "à quoi bon ?" qui pourrait être extrêmement dangereux et révolutionnaire s'il était avoué. La question de leur engagement, de leur ferveur est clairement posée et s'avère particulièrement intéressante. Morts pour leur patrie, on ignore tout de ces jeunes gens, de leurs sentiments face à ce suicide programmé qu'on leur vend comme un acte héroïque. Nicole Roland met en scène avec beaucoup de réalisme ces moments précédant le devoir ultime, où on sait la mort imminente, où on doit régler nos dernières affaires, dirent adieu (ou non) à nos proches.
Après des premières pages énoncées par Kosaburo, c'est bien vite la voix de Mitsuko qui conduit le récit. Une femme dans un monde d'hommes, un femme amoureuse et sensible qui semble s'interroger plus facilement que ses compagnons, une femme qui a fait le choix de se faire passer pour un homme. Une voix originale et inédite sur un univers qui ne laisse que peu de place aux sentiments mais qui, pourtant, m'a semblé ne pas utiliser aussi efficacement qu'attendu cette question de la différence des sexes, de leur rôle, de leur statut au sein d'une société où la place de chacun est très clairement définie.
Kosaburo, 1945 se révèle ainsi un roman particulièrement prenant sur un épisode tragique de l'histoire japonaise. S'appuyant sur une connaissance de la culture japonaise et plus particulièrement du fameux code d'honneur et de conduite des samouraïs, Nicole Roland réussit à nous plonger dans le quotidien de ces morts en sursis avec une écriture subtile, épurée, à la manière japonaise. Elle questionne la question de l'engagement et du devoir et offre des pistes intéressantes sur la notion de sacrifice et de loyauté, sur l'absurdité de la guerre et l'incurie de ceux qui la font, sur la valeur de la vie qu'on ne comprend que lorsqu'il est trop tard.
Un roman qui m'a plu mais me laisse malgré tout avec un léger sentiment d'inachevé, une sensation que l'auteur n'est pas allée au bout de sa réflexion et est restée peut-être trop collée à son histoire.
De plus, les dernières lignes où l'auteur fait le lien entre Mitsuko et ces jeunes gens fracassés trop tôt par le destin et sa fille décédée m'ont semblées totalement hors de propos et casse, pour moi, la portée plus universelle de cette histoire.
Une belle histoire à découvrir même si ce n'est pas un coup de coeur !
Extrait :
" J'avais ouvert le cockpit, l'air marin montait jusqu'à mes narines, je fermai les yeux. Je voyais les autres, mes compagnons, ceux qui étaient morts avant moi, ceux qui avaient quitté leurs hautes écoles, leurs universités pour ceindre leur front du bandeau du kamikaze. J'entendais leurs voix, leurs rires, et maintenant ce silence. Je les revoyais sur une photographie prise avant leur départ. Casques d'aviateur, lunettes ramenées sur le front, aucun d'eux ne souriait. Ils allaient mourir. Ils le savaient. Certains semblaient farouchement déterminés, d'autres, songeurs, portaient encore sur leur visage la marque de l'enfance. Leurs fantômes me rejoignaient et me demandaient des comptes. Il fallait que je meure."
"Avec les premières brumes vint le temps de rejoindre l'université.
Kosaburo recouvrit de terre les dernières braises de notre feu,je roulai les préceptes des samouraïs et les nouai d'un lien de soie et nous partîmes, non sans avoir mis en pratique une méthode secrète : mettre de la salive sur le lobe de nos oreilles, respirer profondément et briser un objet entre nos mains.
Nous étions prêts. Sil fallait un jour partir au combat, nous abattrions nos ennemis jusqu'au dernier. Jamais nous ne nous avouerions vaincus et si, par malheur, cela devait arriver, nous nous ferions sans attendre seppuku, nous ôtant nous-mêmes la vie.
Nous avions tous les deux fortifié notre esprit et, puisqu'il valait mieux en cas de défaite mourir de la main d'un ami plutôt que de celle d'un ennemi, nous avions pris la résolution de nous assister mutuellement dans le rite de la mort volontaire. Nous avions vingt ans, nous avions mille ans et sur notre coeur palpitait l'éclat d'une armure invisible."
"Il aimait la bonté, la vérité. Mais où étaient-elles ? Ce qu'il endurait à présent venait de leur absence, du pressentiment que la guerre, au lieu de rendre les hommes plus nobles, comme on le leur répétait sans cesse, pouvait en faire des chiens, empoisonner leur âme"
D'autres avis :
Anne que je remercie ! - Voyelle et consonne - Livrogne -
Titre : Kosaburo, 1945
Auteur : Nicole Roland
Éditeur : Actes Sud, un endroit où aller
Parution : Février 2011
148 pages
Prix : 16€