Auteur : Morten Ramsland
Editions :
Gallimard, 2008 - 22,50€ - 448 pages
Folio, 2010 - 7,70€ - 464 pages
Note : 5 / 5
" La réalité n’est pas pour les enfants "
Le récit débute en Allemagne. Askild, le grand-père du narrateur, fuit les allemands et leurs camps à toutes jambes. Puis nous voilà transporté en Norvège (et plus tard au Danemark) où on retrouve le même homme désormais grand-père. Un homme difficile qui rudoie ses petits-enfants et refuse de parler de son séjour en Allemagne qui l'a changé à tout jamais. Justement, c'est son petit fils Asger qui nous raconte son histoire. Son histoire mais aussi celle de la famille toute entière sur plusieurs générations. Sa grand-mère est mourrante et il décide de se pencher sur l'histoire familiale.
Dès lors va s'ouvrir devant nos yeux une histoire de famille complexe, douloureuse mais aussi extremement réjouissante !
Car si les premières pages laissent présager un contexte familial difficile et un roman plombant, le lecteur est très vite rassuré par la tournure ironique que prend une narration haute en couleur.
Alternant les époques, le récit nous plonge, de façon très fouillée, dans l'histoire de cette famille.
Asger mélange les temps, revient à son présent pour mieux repartir dans le passé. Si on est un peu perdu au début par l'abondonce de personnages, on finit par identifier chaque membre de la famille tant leurs portraits sont bien troussés.
Askild se prend de passion pour la peinture et le cubisme qu'il introduit dans ses plans d'ingénieur de chantier naval, au grand dam de ses employeurs déjà excédés par son alcoolisme. Sa femme Bjork accouche de son premier enfant au dessus de la cuvette des toilettes et il faut repêcher le gamin plein de merde en tirant sur le cordon ombilical. Le dit fils ( "Feuilles de chou") a des oreilles surdimensionnés que les gamins du quartier bourrent de merde d'anguilles. Sa mère l'obligera alors à porter le "truc de merde", instrument coercitif qui l'empêche de bouger. Sa soeur Anne Katrine handicapé mentale ("grosse Tomate" ou "La merdeuse") excerce une affection un peu tendancieuse envers son neveu alors que son frère Knut balance tout par la fenêtre. L'oncle "Tête de pomme" s'engage sur un navire pour fuir la jeune fille qu'il a mis enceinte pour mieux revenir quelques années plus tard, tatoué de partout et même de la verge qui arbore le prénom de la demoiselle en question... C'est lui aussi qui enverra des boites de conserves bourrés d'air pur à sa grand-mère clouée au lit.
Il y aura aussi "La dent dure", "Madame Maman", "LA Bonde", et le fameux "Tete de chien", monstre caché dans la cave qui sera le déclencheur d'un autre drame dont Asger porte encore le poids...
Bref, j'en passe bien plus encore !
Doté d'un humour féroce qui n'épargne personne, l'auteur dresse un portrait jouissif, rien de moins, de cette famille un peu barrée qui passe son temps à déménager, tel le cirque ambulant pour lesquels on les prendra une fois.
Leur quotidien minable est enjolivé par des fulgurances langagières et des passages absolument extravagants qu'on prend plaisir à voir se dérouler sous nos yeux.
" - Dieu est venu cette nuit, et Il a emporté tes chatons.
Voilà ce qu'avait dit un jour Hans Carlo Petersen, le précédent patron de l'atelier d'encadrement, à sa fille Leila, alors âgée de six ans, en lui tapotant doucement la tête de cette même main qui, la veille au soir, avait mis les sept chatons dans un sac avant de les noyer dans le ruisseau derrière la maison. Leila, à qui son père venait d'offrir une grosse glace, sentit un goût amer se mêler à celui de la crème glacée. Cinq ans plus tard, lorsqu'il vint la chercher chez sa tante maternelle et la conduisit au bord du lac où il acheta la plus grosse glace du marchand, il déclara : «Dieu est venu cette nuit, et Il a emporté ta mère.» Par ces mots, il ne causa pas seulement un profond chagrin à sa fille, mais il lui inspira une aversion durable à l'égard de Dieu et des sucreries. "
Distribuant les histoires des uns et des autres sans y toucher, Asger remonte le fil de sa famille, de ses traumatismes, des non-dits qui lui ont permis malgré tout de se former et de rester lié malgré les aléas. A la fois pathétiques et débridés, ces anecdoctes familiales sont le terreau fertile de sa propre identité construit sur la honte et la culpabilité.
" Stinne et moi, nous n'avions plus envie d'entendre des histoires. Elles trainaient avec elles un je-ne-sais-quoi de douloureux et de mensonger. À cette époque, aucun de nous ne savait que ces histoires formaient le ciment qui liait notre famille, et c'est seulement quand elles ont disparu que tout a commencé à s'effriter, et que nous nous sommes dispersés aux quatre vents. "
Alternant entre drame, ironie et récit d'initiation, Ramsland a su créer une grande saga familiale hors-norme qui loin du misérabilisme attendu plonge dans la drôlerie et l'inventivité.
Un grand roman ! Ne le ratez surtout pas !!!
J'ai cherché d'autres avis sur la blogosphère mais en vain....
(faites moi signe si je vous ai raté !)
L'avis enthousiaste de Picwick qui vient d'arriver !
Mais comment ce fantastique roman a-t'il bien pu passer à travers les mailles du filet !?
Sa toute nouvelle parution en poche devrait vous aider à palier cette erreur !
Vous l'aurez compris, c'est un véritable coup de coeur pour moi !
Une découverte que je dois à BOB ! Mille merci !