Auteur : Dominic Cooper
Editeur : Metaillé
Date de parution : Mai 2006
Prix : 18 €
187 pages
Alasdair Moor est un homme qui vit seul depuis de nombreuses années sur une petite île écossaise. Installé dans la ferme familiale, il a vu son père mourir, son frère partir au Canada et les autres habitants quitter le hameau pour trouver une vie meilleure et plus confortable à la ville. Désormais il est seul parmi les maisons abandonnées. Mais Alasdair est un homme simple, à l'esprit un peu lent, qui se contente du strict minimum : il dort sur une paillasse de foin, se chauffe à la cheminée et s'éclaire à la lampe à huile. Il vit de la pêche au homard et sa vie est rythmée par les saisons. Ses seuls compagnons sont les quelques bêtes qui occupent l'étable et lui offrent quelque subsistance alimentaire. Seules les discussions en bord de route avec un voisin lui apportent un peu de chaleur humaine et les nouvelles du village.
Justement un nouvel arrivant fait parler de lui : Ann Sionnach s'est installé avec sa femme à Cragaig mais attire l'antipathie de par une attitude détestable. Alasdair n'epprouve qu'un peu de curiosité pour cet homme qui a choisi de vivre dans ce coin reculé et difficile. Pourtant quand ce dernier s'attaque à sa vie et à ce qui fait son quotidien depuis tant d'années, Alasdair ne pourra rester de marbre...
Cragaig
"Le coeur de l'hiver" est un histoire simple : un homme qui vit depuis toujours sans rien demander à personne, en parfaite harmonie avec la nature, se voit devenir la cible d'une haine féroce de manière parfaitement irraisonnée.
Alasdair est un taiseux de 45 ans. Sa vie de vieux garçon lui convient et les années passent sans que sa manière de vivre ne se modifie. C'est un travailleur de la mer qui a appris à connaître la Nature, ses bontés et ses colères aussi parfois. La moitié du livre est consacré à sa vie quotidienne, à ces petits gestes de tous les jours et son admiration sans cesse renouvelée pour l'immensité des paysages. La petite île est parfois la proie du vent et des tempêtes mais Alasdair en prend toujours son parti. La vie est ainsi faite. Il va vider ses casiers de homards ou reste à terre à s'occuper de sa vache et ses poules.
L'autre moitié du roman voit l'arrivée de An Sionnach dans la vie de notre personnage et la tension monte inexorablement. Les violences se multiplient et un acte plus destructeur que les autres entrainera Alasdair dans une spirale de vengeance. C'est un homme intrinsèquement bon qui ne comprend pas le soudain accès de méchanceté de An Sionnach qui semble lui en vouloir pour une raison indéfinie. Cette haine féroce qui va connaître une succession d'actes de plus en plus agressifs va entraîner les deux hommes dans une course poursuite finale à l'issue dramatique.
" Alasdair avait l'impression que sa vie venait d'être mise en déroute. Il sentait que la routine quotidienne des années avait été détruite par l'arrivée de cet étrange insensé qui paraissait ne connaître ni la peur ni le bon sens. Il se sentait injustement attaqué et harcelé; il voyait même commencer une vie dont la ruse et le secret seraient des composantes importantes. Lui, Alasdair Mor ! lui qui n'avait jamais rien caché à personne durant toutes ses années à Cragaig. Devoir ainsi commencer à se cacher et à surveiller, à attendre et à se protéger dans une guerre dure, locale... Et ainsi dans les méandres fiévreux de son esprit épuisé et tendu, les sourcils d'Alasdair se multiplièrent et proliférèrent. "
Voilà un roman qui renoue avec une forme d'écriture très étudiée, qui prend son temps et n'hésite pas à délayer dans de longues phrases des descriptions précises. Un style qui m'a rappelé avec plaisir nos vieux classiques français et leurs phrases à rallonge qui en a lassé plus d'un mais qui m'a toujours convenu !
La Nature est ici omniprésente et est un personnage à part entière du roman. On plonge avec délectation dans des paysages grandioses qui se dispute à la majesté de la mer.
" En contrebas se trouvaient les deux terrasses surplombant la grève, là où la famille de son grand-père avait fait pousser l'orge pour son whisky. Grandes marches vertes contre les collines brunes et la mer hyaline, elles étaient à présent en friche, les sillons dans l'herbe disparaissaient rapidement sous la fougère qui proliférait. C'était là que broutaient les moutons d'Achateny, tels des poux à fourrure éparpillés le long de la côte, leurs bêlement pathétiques se mêlant aux folles menaces des goélands marins, des goélands argents et des corneilles mantelées qui plongeaient, s'élevaient et tournoyaient au-dessus du littoral. Au-delà, les grands donjons crénelés des rochers noirs contrastaient avec les langues de terre et les récifs qui mouchetaient le léger ressac et que la marée était en train de recouvrir."
La Nature est instable, les saisons passent et l'hiver qui arrive avec son lot de tempêtes préfigure l'affrontement humain qui se dessine.
" Pendant la nuit, la neige fut accompagné d'un vent violent. De sorte qu'au lever du jour, on pouvait voir les visages aux fenêtres, observant avec anxiété une scène de désolation blanche tandis que la neige, poussée par le vent, balayait le pays. A présent le vent rugissait et gémissait, secouait les buissons et la bruyère, fouettait la neige, déjà à terre, la soulevait en tourbillons et en geyser ; et toujours d'autres renforts venaient du nord, de la mer. Sous la brutalité de cette attaque, la campagne prenanit une autre forme. A mesure que la neige était chassée des crêtes exposées et qu'elle s'entassait en petites congères dans les creux et les recoins, les contours anciens se modifiaient lentement. Les creux autrefois visibles disparurent ; une déclivité de bruyère noire nouée devenait gris poudré, puis gris blanc avant de se transformer en un moule de blanc pur, ponctué d'épaisses tiges noires.Les petites excroissances rocheuses qui d'habitude passaient innaperçues prenanient tout à coup une importance inconnue parce que leurs facettes verticales ne retenant pas la neige demeuraient comme des points anguleux au milieu des champs de douceur. "
Villages abandonnés de Cragaig et Ormaig
"Le coeur de l'hiver" est vraiment un magnifique roman qui fait la part belle à la Nature et au portrait d'un homme modeste qui se sent partie intégrante de ce grand Tout.
La langue est belle, poétique et dure à la fois et entraîne le lecteur dans une ambiance de terre perdue du bout du monde. L'intrigue est mince, l'action presque inexistante. Il faut s'accrocher un peu au début pour s'attacher à cet homme taciturne que rien ne semble atteindre. Pourtant, peu à peu, on se laisse emporter sur cette terre âpre et difficile où les hommes doivent batailler pour survivre.
J'ai beaucoup aimé ce roman mais pourtant je n'en fait pas un coup de coeur. Car ce qui m'a manqué dans cette histoire, c'est l'explication de cette haine qui va tout entraîner sur son passage. Une haine tenace dont les raisons nous paraissent tellement absudes et les réactions disproportionnées qu'on se plait à attendre une révélation qui éclairerait tout. Pas d'explications pourtant, on ne connaitra pas les raisons de cet homme aveuglé par la rage et nous devrons nous contenter de son inexplicable folie, aussi incompréhensible soit-elle.
Un très très beau roman (écrit il y plus de 30 ans !!) que je vous recommande !
Je remercie fortement Marie pour cette magnifique découverte !
Il me reste à attaquer son roman suivant "Vers l'aube" qui m'attends bien sagement dans la bibliothèque...
D'autres avis : Marie - Clarabel.
(C'est tout ?!)
Je me demande même s'il ne pourrait pas rentrer dans le cadre du challenge Nature Writing...
Folfaérie, j'attends ton autorisation... :)