Frank Money revient de Corée où il a été envoyé comme soldat. Le retour à la vie civile ne se fait pas sans difficulté. Il est sans le sou et obsédé par certaines images de son passé guerrier. Mais sa petite soeur Ycidra, dite Cee, est malade. Un appel au secours le pousse à prendre la route pour rejoindre cette dernière et la ramener à Lotus, la ville de leur enfance. Un voyage initiatique au coeur de l' Amérique raciste des années 50, qui sera le début de la reconstruction pour Cee et Frank.
Ce 10ème roman de Toni Morrison qui reprend les thèmes habituels de l'auteur est, une fois de plus, un excellent cru !
Nous sommes dans les années 50 et la ségrégation fait encore rage dans cette Amérique meurtrie par la guerre. Celle de Corée vient de se terminer et les soldats rentrent chez eux, traumatisés. C'est le cas de Frank Money, un noir-américain, qui subit régulièrement des crises d'angoisse paralysantes et garde une rage au fond de lui dont il ne sait que faire. Isolé, solitaire malgré la présence d'une petite amie et surtout sans le sou, il doit se contenter de la médaille reçue pour ses loyaux services et regarde d'un oeil extérieur les commémorations des braves soldats. Franck est extérieur à tout ça. Il est noir et personne ne voit en lui un de ses héros qui a combattu pour le pays. Parti à la guerre en compagnie de ses amis d'enfance, il est le seul survivant de ce groupe de copains et culpabilise d'être rentré vivant. Alors que sa relation avec sa petite amie lassée de son laissez-aller prend fin, Franck part chercher sa petite soeur, lorsque le courrier d'une amie l'alerte de sa situation.
Cee est ce qu'il a de plus précieux. Sa seule vraie famille. Il l'a toujours protégé jusqu'à son départ pour la guerre. Les deux enfants ont grandi à Lotus, sous la coupe d'une grand-mère détestable qui hébergea à contrecoeur la famille fuyant le Texas et ses menaces raciales. Dès qu'il l'a pu, Frank a fuit cette ville et cette maison haïes. Et pourtant, il y reviendra. Avec Cee, sauvée des mains d'un médecin qui l'utilisait impunément pour ses expériences médicales. Il y reviendra et trouvera, en compagnie de sa soeur et contre toute attente, la rédemption et surtout cet apaisement inhérent à ce foyer, à ce "home" où chacun retrouve ses racines et cette plénitude qui vous fait dire : je suis ici chez moi, à ma place.
Toni Morrison nous fait pénétrer dans l'intimité de son personnage principal avec beaucoup de finesse et de subtilité. Le roman se constitue d'une double narration qui alterne entre un narrateur omniscient et un Franck Money qui s'adresse directement à vous, dans des pages particulièrement fortes. Impossible de ne pas avoir une pensée empathique pour cet homme dont nous ressentons pleinement la solitude et le décalage envers ses congénères grace à l'écriture de l'auteur. Des sentiments liés à la ségrégation dont est victime Frank Money ainsi que le reste de la population noire.
Car, ici, le thème principal est bien ce racisme qui occupe toujours les esprits blancs et Toni Morrison réussit la gageure d'en faire son sujet sans nommer une seule fois la couleur de peau de Frank. La compréhension et les informations autour de ce "détail" se font avec intelligence à travers les scènes qui sont rapportés et que le lecteur pourra interpréter aisément. La puissante scène inaugurale, qui hantera le roman à de nombreuses reprises et rapporte le lynchage d'un homme jeté dans un fossé vu par Frank et sa soeur, est l'exemple phare. Plus loin, c'est le Green book qui est cité. Ce fameux guide de voyage, édité de 1936 à 1964, était destiné aux noirs et rapportaient les hôtels, restaurants, ... où ils seraient bien reçus. Ce parti-pris de ne pas citer nommément ce racisme renforce d'autant plus l'horreur et l'injustice de ces brimades. Alors quoi, ces hommes sont semblables : pourquoi sont-ils stigmatisés ? Bref, le procédé est admirable d'intelligence et de force.
Si le personnage de Frank est remarquable, les femmes ne sont pas moins fortes dans cette histoire. Cee, brisée par le médecin qui se joua d'elle, va se révéler à elle-même, en prenant en main son destin. Guidée et soutenue par d'autres femmes, elle sortira plus forte de cette histoire et montrera, à son tour, le chemin à Franck. L'idée d'entraide et de communauté est ici très forte. Si Cee trouvera l'appui auprès d'autres femmes noires, Franck trouvera sur sa route de nombreuses mains secourables qui l'aideront à retrouver sa soeur.
Violent, sombre, Home n'en est pas moins un roman lumineux qui se ferme sur l'attachement de ses habitants à cette terre envers et contre tout, sur cette liberté de choisir sa vie. A l'image de Frank et de Cee qui, bientôt, prendront en main leur destin, les noirs américains lutteront pour leur identité et leur droit d'appartenir aussi à ce pays. Blessés mais vivants.
Le roman se termine sur ces quelques mots qui résume à merveille le fond de ce roman :
" Je suis resté un long moment à contempler cet arbre.
Il avait l'air tellement fort
Tellement beau.
Blessé pile en son milieu
Mais vivant et bien portant.
Cee m'a touché l'épaule
Légèrement.
Franck ?
Oui ?
Viens mon frère. On rentre à la maison. "
Home est sans aucun doute le premier roman de la rentrée à ne pas rater. Tenez-le vous pour dit.
Titre : Home
Auteur : Toni Morrison
Éditeur : Christian Bourgois
Parution : 23 août 2012
153 pages
Prix : 17€