Auteur : Hunter S. Thompson
Editions :
Robert Laffont, Pavillons, 2000 -épuisé
Folio, Septembre 2010, 330 pages - 6,60€
Paul Kemp est un journaliste de seconde zone fraichement débarqué à Puerto Rico. Il vient de décrocher un boulot dans un journal local, le San Juan daily news. Motivé et prêt à croquer le monde, il va pourtant découvrir une équipe de journalistes, plus occupés à courir les bars et à se pinter au rhum qu'à faire sérieusement leur boulot. Intégrant le groupe, il va peu à peu se laisser entrainer dans l'ambiance caraibéenne pour mieux oublier ses illusions de réussite.
Premier roman du célèbre Thompson, "Rhum express" s'appuie sur l'expérience personnelle de l'auteur qui travailla pour un journal sportif local à Puerto Rico.
Le narrateur du roman, qui est Paul Kemp, lui même, nous entraine à sa suite dans les profondeurs moites de l'île. La vie semble facile, les filles sont jolies et l'alcool coule à flots sous les tropiques. L'équipe du journal prend régulièrement ses quartiers dans bar du coin, "chez Al", et sa préoccupation principale semble être de dégoter les meilleures beuveuries.
" L'univers dans lequel j'avais plongé avait quelque chose d'étrange, d'irréel, quelque chose d'amusant et d'un peu démoralisant à la fois. Je me retrouvais là, installé dans un hotel de luxe, fonçant à travers une ville à moitié hispanique dans un cabriolet qui ressemblait à un cafard et faisait le bruit d'un avion de chasse, maraudant dans les ruelles ou jouant les voyeurs sur les plages, traquant mon déjeuner dans une mer infestée de requins, pourchassé par des foules qui me hurlaient dessus dans une langue étrangère, et cela dans une île au passé colonial rococo où tout se négociait en dollars américains, où tout le monde conduisait des voitures made in USA et passait des heures à la roulette en se donnant l'illusion d'être à Casablanca. "
Leur activité journalistique semble être une parenthèse. Aucun des journalistes ne semblent investis dans son travail. Leurs tâches sont faites par dessus tête, certains arrivent bourrés, d'autres se contrefichent des enguelades du rédacteur en chef qui hurle et déplore à tout va la nullité de ses employés sans réussir à rien y changer. Le journal menace de crouler à chaque instant mais pour eux, seul compte l'argent qu'ils peuvent se faire. Leur objectif est de s'amuser le plus possible et de fantasmer sur un départ de l'île, les poches bien remplis de billets.
Paul Kemp se retrouve ainsi, à la suite de ses collègues, entrainé dans des fiestas sans fin qui se finissent parfois en bagarres et gueules de bois. ça picole à toutes les pages et on se demande même comment les personnages font pour tenir autant l'alcool !
La langue de l'auteur est cru, populaire et parfois vulgaire mais donne le ton du roman où toute les débauches semblent permises.
Mais au delà de cette chronique alcoolisée de la vie à San Juan, "Rhum express" se révèle un véritable portrait d'une Amérique détestable.
Puerto Rico s'avère être une île colonisée par les expatriés américains qui semblent n'avoir que peu de respect pour la population locale qui le leur rendent bien. Prenant Puerto Rico pour leur territoire, ils n'hésitent pourtant pas à la critiquer et à la condamner sans avoir le courage ni la force de quitter l'état et de prendre leur destin en main.
Gangrenée par la corruption, on découvrira que les hommes d'affaires américains n'hésitent pas à profiter du laxisme administratif et légal pour mieux s'approprier les richesses de l'île et se faire de l'argent.
Ainsi Puerto Rico est une île sous pouvoir américain qui cherche péniblement à trouver son identité et son indépendance.
Paul Kemp, à la fois entrainé comme les autres dans ce système et extrêmement lucide sur la déchéance de l'île ainsi que sur la sienne propre, nous confiera ses espoirs et ses illusions. Se questionnant sur son avenir professionnel, il analyse de façon désabusé sa situation personnelle et dresse à la fois un portrait sans concessions d'un monde où le capitalisme est roi.
" Mais je sentais que j'arrivais à une étape où j'allais devoir prendre une vraie décision à propos de ma présence à Porto Rico. J'étais là depuis trois mois qui avaient filé comme trois semaines, et pour l'instant il n'y avait rien de tangible, aucun des pour et des contre indiscutables que j'avais discernés dans d'autres endroits. Depuis mon arrivée à San Juan, je n'avais cessé de critiquer cette ville, et pourtant elle ne me déplaisait pas vraiment. J'avais l'intuition que tôt ou tard j'allais découvrir sa troisième dimension, cette épaisseur qui donne sa réalité à une cité et que l'on ne peut entrevoir qu'àprès y avoir vécu un moment. Mais plus je vivais ici, plus j'en venais à me dire que pour la première fois de mon exitence j'avais échoué dans un coin totalement dépourvu de cette dimension fondamentale, ou que celle-ci était bien trop vague pour fonder une quelconque qpécificité. Et si, le ciel m'en préserve, ce trou n'était rien de plus que ce qu'il paraissait être, un ramassis de ploucs, de voleurs et de jivaros hagards ? "
Première découverte de l'univers de Thompson, "Rhum express" s'est révélé pour moi un bon roman qui suinte l'alcool à chaque ligne, mais également une critique sans concessions et sans langue de bois d'une île, sous forme de paradis fantasmé mais qui cache un réel problème politique et identitaire.
A noter : Une adaptation ciné par Bruce Robinson a été tourné et devrait sortir sur les écrans... un des quatre ! en 2011 ? Johnny Deep, qu'on trouvait déjà dans le film "Las vegas parano", sera de la partie pour interpréter Paul Kemp.
Merci à Babelio auprès de qui je m'excuse pour le retard....