Nous sommes en Irlande, dans la campagne éloignée du Wexford. Une fillette est emmenée en voiture par son père chez des inconnus. On ne lui a rien dit : ni le pourquoi, ni la durée, ni qui sont ces gens qui vont l'accueillir. Les Kinsella sont un couple de fermiers sans enfants. C'est eux qui vont prendre en charge la petite fille. Cette dernière s'intègre facilement dans cette famille douce et tendre qui lui prodigue beaucoup d'attention. Une famille qui ressemble peu à la sienne, dépassée par le nombre d'enfants et d'argent, par le manque d'affection aussi. Une famille qui ne lui appartient pas mais qui, le temps d'un été, lui apprendra l'amour.
Ce petit roman est un bijou de finesse et douceur.
L'histoire tourne autour de cette petite fille dont nous ne connaîtrons pas le nom. Débarquée abruptement chez un couple inconnu, elle ne semble pas avoir eu une enfance sous le signe de l'a tendresse. Son père part sans lui dire au revoir et oublie même de lui laisser ses bagages. Sa mère, bien trop occupée par ses autres nombreux enfants dont celui qu'elle porte, se soucie peu de la revoir rapidement, soulignant que les Kinsella peuvent la garder autant qu'ils le souhaitent. Bref, notre héroïne semble un peu noyée dans la masse familiale. Mais chez les Kinsella, les choses vont s'avérer différentes. On lui porte attention, on l'écoute, on joue avec elle, on l'habille et on lui offre toutes ses attentions qu'elle n'avait jamais obtenues.
" Une grosse lune illumine la cour et sa blancheur nous accompagne sur le chemin puis sur la route. Kinsella prend ma main dans la sienne. Dès qu'il la prend, je me rends compte que mon père ne m'a absolument jamais tenu la main, et une partie de moi voudrait que Kinsella me lâche pour que je n'aie pas à éprouver cette sensation. C'est une sensation pénible mais progressivement je m'apaise et ne me préoccupe plus de la différence entre ma vie à la maison et la vie que j'ai ici. Kinsella fait de petits pas pour que nous avancions ensemble. Je pense à la femme de la chaumière, à sa façon de marcher et parler, et j'en conclus qu'il existe des différences énormes entre les gens."
Tout le récit est conté du point de vue de cette petite fille. La narratrice est assez silencieuse et peu expansive. Elle semble accepter les choses passivement sans jamais se rebeller. On découvre le regard innocent qu'elle porte sur le monde et ses différences, ses interrogations, ses peurs. Si elle s'adapte rapidement à l'univers de la ferme qu'elle connaît, elle apprend à s'attacher à ce couple qui semble si lisse, si aimant, sans défauts. Pourtant, elle soupçonnera des zones d'ombre qui n'enlèveront rien à l'affection qu'elle leur porte. Une affection dont elle a peu conscience peut-être, une affection qui se révélera avec force quand on la lui enlèvera.
Les trois lumières est véritablement envoutant par la délicatesse que l'auteur utilise pour évoquer avec pudeur les sentiments et sensations de ses personnages. Une petite fille mutique qui grandit et découvre le bonheur de l'attention et de la tendresse. Un couple fragile qui a un trop-plein d'amour et d'attention à offrir. La rencontre entre ces trois-là se fait douce et lente, et l'apprivoisement se fait avec pudeur et par une sucession de petits riens qui sont beaucoup.
Comme de nombreux lecteurs avant moi, je ne peux que vous recommander très chaudement de découvrir cette histoire extrêmement touchante qui, avec une économie de mots, réussit à nous emporter dans ses filets.
On regrettera juste le prix un peu élevé pour une édition si légère et une 4ème de couverture qui, une fois de plus, dévoile tout le contenu du roman...
Extraits :
" Une partie de moi voudrait que mon père me laisse là pendant qu'une autre partie voudrait qu'il me ramène, vers ce que je connais.Je suis dans une situation où je ne peux ni être ce que je suis toujours ni devenir ce que je pourrais être. "
" Ses mains ressemblent aux mains de ma mère mais il y a autre chose en elles, une chose que je n'ai jamais sentie avant et pour laquelle je n'ai pas de nom. Les mots me manquent terriblement mais c'est un nouvel endroit, et des mots nouveaux sont nécessaires. "
" Tout, ce soir, semble étrange : marcher jusqu’à une mer qui est là depuis que le monde est monde, la voir et la sentir et la craindre dans la pénombre, écouter cet homme parler des chevaux en mer, parler de sa femme qui fait confiance aux autres pour apprendre à qui ne pas faire confiance, des paroles qui m’échappent en partie, des paroles qui ne me sont peut-être même pas destinées.
Nous atteignons finalement un endroit où les rochers et les falaises s’avancent dans l’eau. Ici on ne peut pas aller plus loin, il faut donc rebrousser chemin. Peut-être que le retour donnera un sens à la promenade. Çà et là, des coquillages blancs et plats brillent, rejetés sur le sable. Je me baisse pour les ramasser. Je les sens lisses, propres et fragiles entre mes doigts. Nous tournons le long de la plage et continuons notre marche, avec l’impression de parcourir une distance plus grande que tout à l’heure avant de nous trouver bloqués, puis la lune se cache derrière un nuage sombre et nous ne voyons plus où nous allons."
D'autres avis :
Leiloona que je remercie ! - Keisha - Clara - Brize - Mélopée -Jérome -
Titre : Les trois lumières
Auteur : Claire Keegan
Editeur : Sabine Wespieser
Parution : Avril 2011
100 pages
Prix : 14€