En 1945, l'archipel d'Okinawa est le théâtre de batailles qui voient s'affronter l'armée impériale japonaise et les forces armées américaines. Des mois de combats qui feront de nombreuses victimes militaires et civiles.
Dans Soldats de sable, Susumu Higa évoque, en différentes histoires, le conflit vue de l'intérieur par les habitants eux-mêmes. S'appuyant sur la propre expérience de ses parents, l'auteur (né dans les années 1950) livre un témoignage hors pair qui n'hésite pas à égratigner l'image des soldats japonais.
Voici le contenu de quelques unes :
Lame de sable :
Une garnison de soldats japonais vient investir l'île sous prétexte de protection. Réquisitionnant l'école, déboisant les arbres sacrés du lieu, pêchant à la dynamite, obligeant les civils à des entraînements militaires, ces derniers sont assez mal acceptés par la population. Seul un homme tentera de les convaincre de partir et de leur rendre la tranquilité qui les protège des combats américains.
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Ici, c'est une mère et ses 3 enfants que nous allons suivre. Attendant le retour de son mari parti à la guerre, la mère tente de protéger et nourrir comme elle peut sa progéniture. Alors qu'elle se réfugie dans un abri, des soldats japonais font iruption et pillent ses dernières provisions. Son bébé, effrayé par le bruit des bombardements, se met à hurler au grand dam des soldats qui craignent d'être repérés. Menacée de mort, la petite famille est expulsé à l'extérieur et la mère, contrainte de se trouver un nouvel abri, reprend son errance.
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Un soldat japonais fait prisonnier par les américains découvrent que ses ennemis ne sont pas les terribles vengeurs annoncés. Bien traité par ces derniers, il accepte de collaborer avec eux afin d'épargner des vies de civils japonais. Devenu traducteur, il accompagne les soldats américains qui tentent de convaincre la population cachée dans des abris de sortir et de se rendre. Mais craignant les exactions ennemies et incités par les soldats japonais infiltrés parmi eux, nombreux se résoudent au suicide ou pire encore, sont victimes de ces "actes de bravoure" de l'armée impériale.
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La guerre est terminée depuis de nombreuses années. On découvre un jeune apprenti potier qui suit l'enseignement de son maître. Se fournissant de la terre du village, bientôt pourtant, le jeune homme est atteint de cauchemars récurrent. Quand des ossements humains sont découverts dans le village, bientôt, l'ombre des ancêtres devenus fantômes plâne au dessus des descendants d'Okinawa.
Vous l'aurez compris, l'auteur a construit habilement son recueil qui va de la menace des combats à l'après-guerre et ses blessures non cicatrisées. Les récits réunis ici donnent ici une vision radicalement différente du discours officiel et laissent entendre la voix de la population civile qui a eu à subir la guerre mais aussi l'attitude de l'armée japonaise.
On découvre ici des soldats égoistes pour qui seule la victoire et l'honneur comptent. Ils prennent certaines décisions en dépit du bon sens, utilisent la population comme bouclier humain, pillent leurs réserves sans vergogne et ne font preuve d'aucune compassion ou sentimentalisme.
Heureusement, l'auteur sait aussi montrer des soldats plus positifs qui n'hésitent pas à se battre pour sauvegarder quelques vies humaines, ou plus loin des étudiants qui renoncent à rejoindre leur famille pour sauvegarder vainement des milliers de livres et écrits inestimables pour l'histoire japonaise.
Les habitants, forcés de se plier aux ordres, sont pris entre deux feux. Ils n'ont pas voix au chapitre devant la force militaire et doivent tout accepter sous prétexte d'aide à l'effort de guerre. Lorsque les américains envahissent les terres japonaises, la population forcée de faire profil bas est même accusée par ses propres soldats de traitres et menacés de morts. Là encore, rien n'est tout noir et la solidarité fait parfois oeuvre de miracle.
Bref, c'est une vision totalement absurde, amorale et meurtrière qui nous est donné ici de la guerre, un véritable plaidoyer anti-militariste que l'auteur livre en toute simplicité, s'appuyant sur des portraits très humains et très réalistes de citoyens japonais, victimes impuissantes de la guerre qui tentent de se sauver sans oublier leurs valeurs.
Une veine réaliste donc qu'on retrouve dans son dessin très simple, aux lignes claires, qui réussit en quelques traits à donner vie à cette époque tourmentée sans alourdir le propos.
La postface, très éclairante, revient sur le contexte de l'époque, détaille l'origine et le sens de chaque nouvelle.
Soldats de sable s'avère donc un ouvrage particulièrement salutaire du point de la mémoire et de l'histoire. Devant un Japon qui, encore aujourd'hui, fait face à des discours révisionnistes au sein même de son gouvernement, l'auteur fait preuve d'un certain engagement humaniste en illustrant ce traumatisme de la guerre et en livrant sans manichéisme une vision réaliste des batailles d'Okinawa.
Le français, de son côté, découvrira certainement en plus cet épisode mal connu de l'histoire japonaise.
Au final, voilà bien des raisons de se pencher sur ce formidable recueil !
A noter :
Ce titre est sélectionné pour le Festival d'Angoulême dans la sélection officielle.
D'autres avis :
L'article très complet de Culturopoing qui vous propose de gagner un exemplaire.
Liens :
Premières pages à lire
Titre : Soldats de sable
Auteur : Susumu Higa
Editeur : Le lézard
Parution : Septembre 2011
250 pages
Prix : 19€