Auteur : Kawabata Yasunari
Editions :
- Albin Michel, 1973, 183 pages, 13€
- Livre de poche, 1984, 124 pages, 4€
" La danseuze d'Izu "est la première publication de Kawabata. Cette nouvelle, paru en 1926, rendra célèbre celui qui deviendra un des plus grands auteurs japonais.
Les cinq nouvelles qui composent le recueil ici présent tournent toutes autour du sujet de l'amour, de la beauté des femmes et de la mort, comme on le retrouvera fréquemment dans son oeuvre.
La danseuze d'izu (1926) :
Cette première nouvelle, qui donne son nom au recueil, est inspiré de l'expérience personnelle de l' auteur.
En 1918, Kawabata part en voyage vers Izu. Lors de son parcours à pied, il rencontre une troupe de théâtre itinérant.
On retrouve la même trame dans ce récit où le narrateur est fasciné par la beauté d'une des jeunes actrices. Il accorde son chemin à celui de la troupe, lie amitié avec le meneur, Eikichi, pour mieux se rapprocher de sa soeur, la belle Kaoru qui se révèlera très jeune.
" La lampe de la cabine s'éteignit. Une odeur de poisson frais, de marée, montait vers la bateau et devenait plus intense. Il faisait complètement noir. Je me réchauffais à la tiédeur du corps de mon compagnon et je laissais couler mes pleurs. Ma tête se résolvait en eau claire, qui s'écoulait sans rien laisser en moi ; et j'en éprouvais une douceur paisible. "
Elégie (1932) :
Une femme veuve se souvient de son mari et continue à le croire vivant à travers la nature. Parlant aux fleurs, aux plantes, elle continue d'honorer son amour pour lui au delà de la mort.
"Quelle est navrante cette coutume des vivants d'invoquer les morts ! mais comme elle est navrante surtout cette croyance que l'être survit en conservant, dans un monde à venir, la forme qui fut déjà sienne dans un monde antérieur !"
" Les grandes eaux tumultueuses des massacres, des destructions, ne peuvent donc anéantir ces riens qui ont existé entre un homme et une femme ? "
Bestiaire (1933) :
Un homme un peu solitaire élève des oiseaux. Il se passionne pour ces animaux, les regarde vivre, grandir, s'aimer, se battre et mourir avec indifférence. Il n'aime pas les hommes car "les liens sont difficiles à rompre". alors que les animaux tendent "vers un canon de beauté très arbitraire, sans égard pour leur vie ni pour leurs moeurs". Ses réflexions sur les animaux, non dénués de cruauté, l'amène plus loin à se souvenir de Chikako, une danseuse avec qui il a eu une liaison.
" Prenons les chiens, par exemple : après avoir eu des colleys, on continue de préférence avec la même race, comme on aime les femmes qui vous rappellent votre premier amour, au point de vouloir, pour finir, en épouser une qui ressemble à celle qu'on a perdue. "
Retrouvailles (1946) :
Nous sommes en 1945. Un homme, qui revient de la guerre, assiste à une représentation et aperçoit dans le public une ancienne amante. Leur rencontre fait remonter les souvenirs à la surface et la belle Fujiko s'attache aux pas de Yuzo, lui contant à demi mots les difficultés de sa situation.
" Cela rappelait à Yuzo ce qu'il avait aussi ressenti : que l'extrême abnégation et l'extrême égoïsme se confondaient parfois, en un curieux mélange : de la critique de soi-même à la fatuité, de l’altruisme à l’exclusif souci de ses intérêts, de la bienveillance à la méchanceté, de la torpeur à l'excitation. "
La lune dans l'eau (1953) :
Un homme invalide et malade se voir forcé de garder le lit. Sa femme Kyoko lui fait alors voir le monde à travers un miroir à main. Observant sa femme en train de jardiner à travers la fenêtre, le mari finit par y découvrir un autre monde, plus étincelant. Kyoko y découvre une autre image d'elle-même.
" On ne connait que le reflet de son visage ; ces traits qui vous sont personnels, uniques, vous demeurent invisibles. On se touche la figure chaque jour, comme si les traits que renvoie le miroir étaient ceux de votre vrai visage..."
" Pour conserver ce reflet du monde, il aurait sacrifié sa vie. Certain jour, après une forte averse, tous deux contemplaient la lune reflétée dans une flaque d'eau. Cette lune, dont on pouvait à peine dire qu'elle fut l'illusion d'une illusion, resurgit dans le coeur de Kyoko. "
Voilà donc 5 nouvelles d'une beauté exemplaire, parfois hermétiques et qui nécessiteront pauses et réflexion (ou même plusieurs lectures) pour en comprendre tout le sens. 5 nouvelles qui nous parlent d'amour avec subtilité et non-dits, de la vieillesse et de la beauté de la mort qui exacerbe les sensations et les sentiments.
5 nouvelles contemplatives et poétiques qui souligne l'impermanence du bonheur et l'éphémère de la vie.
A noter : les traductions françaises existantes sont plutôt anciennes et certaines semblent avoir quelque peu remodelé le sens de certains passages. Par exemple, il semblerait qu'une touche d'homosexualité pointe dans le premier texte qui a été occulté avec la traduction.
Cécile Sakai a étudié ces différences de sens et on peut en trouver quelques exemples ici.